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LA RIVIERE GLACEE

12 juillet 2007

A Auteur Marie Valente (MAB VILLEM) Textes et

A

Auteur Marie Valente

(MAB VILLEM)

Textes et images protégés.

Reproduction interdite

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10 juin 2007

1ère partie CHAPITRE 1 Malheur, malheur, quand tu

1ère partie

CHAPITRE 1

        Malheur, malheur, quand tu nous tiens,

        Malheur, malheur, tu nous tiens bien… (Musique !)

Combien de fois ai-je dansé ce tango ? Il revient souvent dans ma tête, à chaque fois qu’une idée m’obsède.

Celle qui s’impose à moi dans ce roman, est celle du malheur. Quel qu’il soit. La liste est trop longue pour en faire la nomenclature. D’ailleurs, chacun d’entre  nous en connaît un certain nombre de lignes.

        Mais si j’aborde un sujet qui ne le mérite pas (je me contente aujourd’hui de l’ignorer) Ce n’est pas pour lui faire honneur, mais au contraire pour le débusquer, le démystifier, et, finalement, le résilier de nos pensées et de nos vies.

        Il existe une autre façon de supporter ses épreuves, qu’en pleurant sur son sort, ou en se résignant.

    Le combat : Le courage de se jeter à l’assaut d’une citadelle soi-disant imprenable en criant:

-  « Montjoie Saint Denis ! »

Ou bien quelque chose d’autre qui y ressemble, et qui veut dire :

-  « Je ne me laisserai pas faire, sapristi ! »

Enfin, tout cela pour dire qu’il existe autre chose que « l’obscur et le froid », comme vont nous le démontrer les héros de cette histoire.

Le début en est triste, forcément, puisqu’on parle de malheur… Mais cela ne dure pas, Notre premier héros, Borg, nous conduit vers autre chose….

Le voici….

10 juin 2007

Décor : Une rivière, dont les flots tumultueux et

        Décor : Une rivière, dont les flots tumultueux et glacés entraînent vers l’horreur, un troupeau de pauvres gens en souffrance d’être.

Certains d’entre eux ont oublié le drame qui les a conduit là. Ils sont sans mémoire. Ils ont conscience simplement d’être mal, d’être seul, trempés, et d’avoir froid.

        L’un d’entre eux, Borg, est dans ce cas. Il avance péniblement dans la rivière sans comprendre pourquoi. Ce qu’il sait, c’est qu’il ne faut pas sombrer dans les trous profonds et éviter les endroits où l’eau est trop violente et risque de l’emporter. Il fait attention. Pourquoi ? Cette question qui le vrille soudain lui fait relever la tête. Il s’aperçoit alors qu’il n’est pas tout seul comme il le pensait. Une femme à côté de lui répète sans cesse :

-  «  Ah miséricorde, malheur de nous autres ! Qu’ai-je fait mon Dieu pour mériter ça ? Et pourquoi moi ? »

Un vieil homme trébuche. Il porte dans ses bras  un petit chien qui lui ressemble : Ils ont les mêmes moustaches. Il gémit doucement :

-  «  Françoise ! Pourquoi m’as-tu quitté ? Pourquoi m’as-tu laissé seul ? »

Derrière lui, il entend un enfant pleurer:

-  «  Mais pourquoi personne ne m’aime ? J’essaie d’être sage pourtant ! »

Il se retourne et surprend le regard implorant de l’enfant, et se demande pourquoi, en effet, on ne l’aime pas, car il semble très aimable.

Sur sa gauche, une dame âgée ne dit rien. Son allure est saccadée, on la sent épuisée par l’effort. Borg se dit qu’elle a du être très belle, d’ailleurs, elle est belle, quelques rides  ne peuvent détruire la beauté d’un visage. Borg lui demande si elle va bien, question idiote pour qui marche sur cette damnée rivière, mais il ne sait quoi dire d’autre. La dame sursaute, elle se croyait seule, elle se tourne vers lui et lui dit :

-  «  Je suis vieille, mon mari est mort, mes enfants sont morts, et moi je suis toujours là, pourquoi ? »

Borg aimerait bien trouver une réponse intelligente mais rien ne lui vient à l’esprit que :

-  «  Vous m’en voyez navré, Madame »

-  «  Pas tant que moi, Monsieur » répond-elle

Maintenant il se sent idiot, il n’ose pas lui proposer son aide. Cette grande dame, avec son grand malheur et sa grande dignité l’intimide.

La rivière devient tumultueuse, Borg se démène à choisir les endroits où poser les pieds. Près de lui, la vieille dame s’arrête, trop lasse pour continuer à lutter. Elle disparaît dans l’eau.

On parle de courage ou de foi, mais que veulent dire ces mots quand le chagrin est si profond que l’instinct de survie disparaît ?

Lorsque l’angoisse devient intolérable, que l’inconfort se fait torture, l’esprit tout entier déjà s’envole vers l’ailleurs. Le corps fatigué est un fardeau si lourd à traîner, qu’il est prêt à suivre l’élan de l’esprit.

C’est pourquoi certains se laissent engloutir par les flots déraisonnables.

Borg est triste quand il s’aperçoit que la dame a disparu, et un peu honteux de n’avoir pas su l’aider.

-  «  Ah miséricorde, pauvres de nous… »

Il réalise qu’il ressasse la même litanie que ses voisins, et cela interrompt ses lamentations larmoyantes.

Le malheur n’a rien à voir avec la tristesse qui se cultive comme une plante vénéneuse. Certains pensent que la tristesse est un sentiment noble. Bonjour tristesse ! La tristesse est un état d’âme qui n’implique pas le moi profond. Peut-être une vague compassion envers soi-même ou un autre.

Le malheur est un ras de marée qui ne se contrôle pas.

Soudain, toutes les valeurs s’envolent, la stabilité de l’existence vacille, c’est un autre monde qui ne comporte qu’un chemin de croix : la rivière glacée.

L’environnement y évolue de façon permanente, aussi bien en couleur qu’en texture, la vision extérieure s’accorde aux tortures intérieures. L’imagination se plie aux ordres du mal pour créer tout ce qui fait souffrir :

Le froid, le noir, la solitude, le désespoir.

Le sentiment de tristesse détourne donc Borg des vagues violentes pour le conduire  dans un endroit où les eaux sont plus calmes. Soudain, un éclair puissant de lumière l’aveugle à moitié. Il ferme les yeux mais la lumière est toujours là, en forme de fleur rose, et elle pulse autour d’un trou noir pendant un court moment puis disparaît. Borg est troublé :

-  «  Qu’est ce que ce truc ? » se demande-t-il         

Les yeux encore emplis de lumière, il se retourne et voit les autres qui continuent à descendre vers l’obscur. Alors la panique le saisit : il ne veut pour rien au monde continuer sur ces eaux maudites. Il se met à courir comme un fou pour remonter la rivière.

10 juin 2007

Il est le seul à remonter mais il croise des gens

Il est le seul à remonter mais il croise des gens qui descendent. Il est très fatigué. Il voit soudain la fleur de lumière rose ressurgir à l’horizon, beaucoup plus grande. Elle ne reste que quelques secondes puis s’éteint. Borg est très intrigué, il essaie de comprendre d’où peut venir cette…fleur. Il existe  donc autre chose que le froid et l’obscur.

Attiré par l’idée de lumière, Borg poursuit son chemin. Il veut sortir de cette rivière et rejoindre des lieus plus hospitaliers. Tout au long de sa pénible progression, il rumine sa nouvelle découverte :

-  «  Mais qu’est-ce que cette lumière qui apparaît ainsi, ne deviendrais-je pas  fou par hasard? »

Borg réfléchit. Son esprit est scientifique, le paranormal lui est étranger, mais il a connu des gens qui y « croyaient. »

Il a entendu une personne sortant d’un coma profond lui raconter des histoires de vie après la mort. Il l’a écoutée patiemment parce que c’est son travail : il est médecin, mais sans y croire. Cependant, il n’a jamais entendu parler de ces phénomènes lumineux, sauf bien sûr dans des histoires de fantômes, des histoires d’enfant.

- «  Pour le moment la priorité est de remonter, je penserai à tout cela plus tard. » Se dit-il.

Au fur et à mesure qu’il avance, le ciel s’éclaircit, la rivière se rétrécit et il voit enfin qu’elle se termine là.

L’avance devient plus pénible car l’eau se fait boue collante.

-  «  On dirait que cette rivière essaie de m’engluer pour me retenir, quelle poisse ! Mais je ne me laisserai pas faire, d’ailleurs elle est en train de crever cette engeance de rivière. »

Une haute colline lui cache l’horizon. Il fait moins froid, il baisse sa capuche et observe le paysage autour de lui. Plusieurs chemins lui sont offerts. Celui qui descend vers l’ombre semble le plus facile et Borg est éreinté, c’est pourquoi il hésite encore une fois. Mais il sait ce qui l’attend du côté obscur, et cela, plus jamais !

Là, il est bien, épuisé mais le corps réchauffé et l’esprit aiguillonné par l’idée que « plus on monte, mieux ça va. »

Alors il choisit de monter vers la lumière.

-  «  Je pense que là haut, tout doit être plus beau » dit-il.

Arrivé en haut du chemin, Borg s’arrête, ébloui par la clarté nouvelle, composée d’un éventail de nuances délicates.

La lumière pénètre en lui et l’envahit tout entier. Il a l’impression d’être lumière et de rayonner.

-  «  Je dois rester dans des endroits lumineux et ne plus fourvoyer plus dans des lieux d’horreur… Mais au fait, qu’y faisais-je? »

Alors, dans un éclair, il se souvient du malheur qui l’a conduit au voyage infernal. Il s’écroule sur le sol, anéanti. Il hurle sa souffrance et pleure avec tant de force que sa veste en est trempée. Il se demande alors si la rivière maudite n’est pas crée par les larmes de tous les malheureux.

Cette idée le détourne de son obsession, et il remarque que le paysage autour de lui s’assombrit, que le ciel est chargé de vibrations inquiétantes. Il en est si surpris que cela arrête net sa crise de larmes.

-  « On dirait que ma manière de penser influence l’extérieur… »

Il respire profondément et pense : Lumière… Cela marche ! Tout autour de lui redevient clair.

- «  C’est fabuleux, cette histoire! »

Il reprend la route en essayant de comprendre ce phénomène, mais la question reste entière et frémissante.

La nuit tombe. Borg est épuisé et il a froid. Il veut s’arrêter pour dormir, mais répugne à s’installer sur le sol humide, comme une bête. C’est alors qu’il aperçoit une petite maison en ruine qui peut  lui servir d’abri pour la nuit. Le ciel est si pur qu’il laisse s’exprimer des millions d’étoiles. Borg écoute le chant des étoiles en alliance avec la paix qui l’imprègne.

Lorsqu’il entre dans la maison, il est étonné de la trouver relativement propre. Il manque un morceau du toit, les murs sont lépreux et le sol poussiéreux, mais il ne voit aucun des signes de vandalisme qu’on trouve souvent dans des endroits abandonnés. Dans un coin, il y a des planches posées sur des pierres, avec dessus un vieux matelas et une couverture. Borg se demande qui vient y dormir, un ermite? Un berger ? Peut-il  l’occuper? La question lui paraît dérisoire par rapport à sa fatigue…

Il pensait sombrer très vite dans le sommeil mais il n’en est rien. Son histoire, oubliée un moment dans l’effort accompli, surgit de sa mémoire. Borg revit la trahison, l’horreur de découvrir un monstre dans l’être aimé. Le dégoût lui donne envie de vomir.

Le plus terrible lorsqu’on raconte l’histoire de son malheur, c’est qu’elle semble dérisoire à ceux qui l’entendent. Ils ont du mal à comprendre comment un événement assez banal à leurs yeux, peut engendrer un drame aussi violent et toutes les conséquences qui en résultent. Le sentiment de compassion est alors trop faible pour que l’aide offerte se prolonge dans le temps. Une trahison est souvent considérée avec ironie, et il n’est pas rare que l’auditeur en sourie. C’est incroyable d’être aussi bête ! C’est presque la victime qui devient le coupable.

Les gens se lassent, alors le malheureux se retrouve seul.

-  «  Le mal engendre le mal, pense Borg. Il faut que j’apprenne à contrôler mes pensées pour ne jamais plus connaître la haine qui est, de tous les sentiments, le plus répugnant.  Ni la rancune qui grignote l’harmonie avec autant de virulence qu’un rat un fromage. »

Il peut enfin devenir spectateur objectif de son histoire et la trouve sordide.

Borg conclut que, finalement, ce ne sont point tant les évènements qui nous font souffrir que l’idée qu’on s’en fait. Et il s’endort…

En se réveillant le lendemain, Borg éprouve un sentiment de  sécurité qu’il n’a jamais connu. Comme la faim le tenaille, il fait l’inventaire de ses poches, et trouve son portefeuille avec ses papiers, sa carte bancaire mais plus d’argent. Il trouve aussi une enveloppe qui contient quelques petits billets. Mystère ! Il avait un portefeuille bourré de billets qu’il retrouve vide, et récupère une enveloppe  avec un peu d’argent…

Il franchit le col qui le mène au prochain village et décide  d’acheter juste de quoi subsister quelque temps. Il fera vite, il ne veut pas se faire remarquer. Il se munit de pain et diverses choses pour l’accompagner.

En sortant de la boutique, Borg se retourne et surprend le regard malveillant de la marchande. Mais ce qui l’étonne le plus c’est son propre reflet dans la vitre. Il ne se reconnaît pas. Celui qui le regarde est un clochard. Il prend conscience de l’odeur de sueur qui émane de son corps.

-  «  Pas étonnant qu’on me regarde de travers ! » Pense-t-il.

De retour à la petite maison, Borg se déshabille complètement et  va se laver à une fontaine qu’il a trouvée dehors, derrière un mur. Comme il n’a aucun nécessaire de toilette, il utilise du sable pour gratter sa crasse. Ensuite, il écrase quelques fleurs sauvages entre ses mains et les passe sur tout le corps, histoire de sentir meilleur. Il lave ses vêtements, un ensemble pantalon et veste à capuche en grosse toile lainée, et les étend au soleil, en se demandant comment il a bien pu s’accoutrer de telles horreurs.

Depuis le moment où il s’est enfui de chez lui comme un fou, et, d’autant qu’il se souvienne, dans une tenue civilisée, il n’a aucune idée de la façon dont il est arrivé ici.

Il s’enveloppe dans la couverture et commence à établir les bases de sa nouvelle vie. Il décide sa nouvelle personnalité selon ses idées et non point celles des autres. Défaire ce qui a été mal fait, faire ce qui n’a pas été fait. Il faut le faire ! Borg sourit dans sa barbe naissante, le travail qu’il veut entreprendre le passionne. Il s’endort un moment, et lorsqu’il se réveille, il voit que ses vêtements sont secs, mais très rugueux.

Il se rhabille et décide d’aller découvrir l’environnement dans le jour qui décline, pour choisir le chemin qu’il prendra en partant. Il marche jusqu’à la crête de la colline proche, et ce qu’il voit lui coupe le souffle. A l’infini se déroule une suite de vallonnements qui se noient dans la brume du soir.

Borg a l’impression de redevenir enfant. Ses pensées sont simples. Le regard pur qu’il pose sur les choses les rend plus belles.

Il rentre à la maison dans la nuit claire, il n’a jamais vu une lune aussi brillante. Il se couche dans un rayon de lune et s’endort vite.

10 juin 2007

Il se réveille tard le lendemain matin, le soleil

Il se réveille tard le lendemain matin, le soleil est déjà haut dans le ciel. Une faim terrible l’oblige à ingurgiter une bonne part des ingrédients qui restent. Cela est sans importance, il part demain et en achètera d’autres. Il pourrait descendre au village et téléphoner à quelqu’un pour qu’on vienne le chercher, mais il n’a pas envie de rentrer tout de suite dans son ancienne vie. Il veut laisser le voyage lui apporter d’autres surprises. L’argent de l’enveloppe lui permet de s’alimenter un jour ou deux.

Il décide de faire un grand nettoyage de la maison en remerciement pour l’hospitalité. En entassant des vieilles planches dans un coin de la pièce, Borg se blesse à la main avec un vieux clou rouillé. Il court à la fontaine nettoyer la plaie qui saigne et la comprime avec son autre main. Puis il revient s’asseoir  sur le lit, et attend, c’est tout ce qu’il peut faire puisqu’il n’a rien pour se soigner. Petit à petit, un léger brouillard rose envahit la pièce, et SA fleur de lumière surgit à côté de lui.

-  «  Salut à toi, ma belle, tu me manquais! »

Il regarde attentivement la fleur posée sur ses mains. Elle est extrêmement lumineuse mais n’éclaire pas autour d’elle. Il la voit aussi quand il ferme les yeux, et il en conclue que c’est une vision intérieure, peut-être provoquée psychiquement par le choc émotionnel qu’il a vécu. Il se promet d’étudier sérieusement dès son retour, tout ce qu’il pourra trouver sur les phénomènes de lumière. La fleur reste un moment puis disparaît. Borg écarte les mains pour voir si la blessure saigne encore et pousse un cri de surprise : Non seulement la blessure ne saigne plus mais la plaie est refermée. Il ne reste qu’une cicatrice encore un peu rouge

-  «  C’est incroyable ! »

Mais Borg sait qu’il ne peut pas se contenter de croire  ou de ne pas croire. Le verbe croire lui semble une porte ouverte sur l’obscurantisme. Il veut SAVOIR comment son esprit peut créer involontairement  une lumière qui agit sur la matière.

-  «  C’est fou ce qui m’arrive, mais peut-être que j’avais déjà cela en moi avant et je ne l’ai pas vu. » Pense-t-il.

Il se rend compte qu’il n’a pas vu grand-chose jusqu’à présent, pas même la détresse de certains malades, ni les problèmes de sa femme, ni ses erreurs de comportement. Il n’a rien vu parce qu’il ne savait pas regarder.

Il prend conscience de l’étonnante transformation de son esprit. Maintenant, il voit, et ce qu’il voit trouve son chemin vers son raisonnement et son émotion.

Il éprouve un désir immense de connaître les autres et de les aider. Il prend l’engagement de ne jamais plus laisser quelqu’un s’enfoncer dans la rivière glacée sans tenter de le sauver. Ce qu’il nommait amour dans le passé n’est qu’un pâle reflet, comparé au sentiment qui émane de lui aujourd’hui.

Il pense à la fleur de lumière et à la plaie cicatrisée comme à un message. Il est un médecin maintenant doté d’un don particulier.

Il imagine des cas de souffrance qu’il pourrait soulager de telle manière, en faisant ci, en disant cela, et sa conviction s’affirme: Sa voie est là.

-  «  Je vais devenir un grand marabout ! Se dit-il en souriant. Mais il faudra être discret mon vieux Borg, sinon tu risque d’être conspué par tout le corps médical, et même blâmé par le conseil de l’ordre ! Bof ! On verra bien, il suffit d’y réfléchir. »

Puis ses yeux se ferment d’eux-mêmes et il s’endort.

Au réveil, il se prépare à partir. Avant de s’éloigner, il s’assoit près de la maison pour dire adieu et merci à cet endroit qu’il aime.

Il voit alors un jeune homme et une femme s’avancer vers lui. Des touristes sans doute. Ils passent près de lui d’un air hautain, la jeune femme une moue dédaigneuse aux lèvres.

-  «  Quels crétins ! » pense Borg en colère

Puis il prend conscience de sa colère et soupire profondément.

Eh bien bravo le grand marabout ! Pour un nouveau départ dans le monde, c’est réussi ! Pense-t-il, et il s’en va.

        Il marche pendant des heures dans un paysage montagneux, non point de hautes montagnes, mais une succession de vallonnements qui le font monter, descendre, et l’épuisent. Il n’a même pas remarqué le nom du village où il a acheté ses provisions. Il a vécu hors du temps et le temps le rattrape en le mettant cruellement face à la réalité : Il est perdu, il n’a aucune idée de l’endroit où il est. Il essaie de se souvenir des endroits, en France où on peut trouver ce genre de contexte géographique, mais il est un peu fâché avec la géographie.

Il s’arrête après des  heures et des heures de marche, combien ? Se demande-t-il. Comment savoir ? Il n’a plus de montre. Il mange la moitié de la nourriture qui lui reste, ce qui n’est pas beaucoup. Mais il doit en garder un peu pour demain, s’il ne trouve rien. C’est surtout l’eau qui l’inquiète, il n’en a presque plus et n’a pas vu une seule source, ni un seul cours d’eau depuis qu’il est parti.

Allez, pense-t-il, ne te décourages pas, et cesses de t’apitoyer sur ton sort. Cette montagne doit bien finir quelque part, c’est juste un mauvais passage. Il reprend sa marche, mais le soleil, au loin, commence à rejoindre les montagnes. Il se demande avec inquiétude où il va dormir cette nuit. Tout autour, ce n’est que cailloux et herbes, alors il continue à marcher encore, et encore… Il s’arrête quand il décide que trop, c’est trop. Il voit devant lui une petite colline de pierres et décide de s’installer là. Il n’en peut plus, il se couche en boule sur l’herbe au pied de la colline et tente de trouver le sommeil malgré le froid  qu’il ressent de plus en plus intense. Heureusement pour lui, la fatigue lui vient en aide : Il s’endort.

Le lendemain matin, quand il se réveille dans l’aurore glacée, Borg se demande où il est. Puis, la mémoire lui revenant, il essaie de se lever et là, catastrophe, il ne peut plus bouger. Son corps n’est qu’une immense courbature. Alors il commence doucement à frotter ses membres douloureux et pense avec envie à un café bien chaud. Au lieu de café chaud, il boit une gorgée d’eau gelée, et ses douleurs s’atténuant, il avale goulûment le reste de la nourriture. Le mieux à faire, lui semble-t-il, c’est de se remettre en route tout de suite pour se réchauffer. Le départ est difficile, il n’y a pas une partie de son corps qui ne le fasse souffrir.

Il regarde autour de lui et le paysage qu’il voit à perte de vue est toujours le même : Pierres, herbe, et quelques sapins.

-  «  Quand je pense que je trouvais cela magnifique ! C’est l’enfer, oui ! »

Quand le soleil commence à monter dans le ciel, Borg se sent réchauffé et ragaillardi. Malheureusement, il commence vite à déchanter. Le soleil devient de plus en plus chaud. La lumière intense lui brûle les yeux. Il marche encore des heures, et toujours dans le même foutu paysage. Il monte, il descend, il remonte…à tel point qu’il se demande s’il ne tourne pas en rond.

Borg souffre de la chaleur et de la soif. Il ne pense même pas à la faim, car il est trop fatigué. Il fait avec. Il a retrouvé sa confiance en pensant à sa fleur de lumière. Puisqu’elle le guide dans son voyage, il attend un signe.

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10 juin 2007

Chapitre 2 Il continue donc son avance avec un

Chapitre 2

Il continue donc son avance avec un nouveau courage, quand soudain, il sursaute car il entend une voix derrière lui qui lui dit :

- « Eh ! Mon gars, qu’est ce que tu fais là, tu es paumé ? »

Il se retourne et voit un homme d’un certain âge muni d’un énorme sac à dos. Il porte ses cheveux longs. Borg est surpris par la clarté de ses yeux.

- « Je crois qu’on peut dire cela. » Répond-il

- « Ça fait un moment que je t’observe, tu es venu te balader histoire de voir la si la montagne est belle, et tu n’as ni  flotte, ni  bouffe, C’est ça ? »

- « Oui »

- « Et tu as soif, mon gars ? »

- « Oui »

- « Alors tiens ! Bois ça, c’est juste un peu d’eau, mais c’est tout ce que j’ai dans mon fourbi. »

- « Je ne vois pas pourquoi je boirais votre eau, vous en avez besoin vous aussi. »

- « Si tu ne vois pas ça mon gars, c’est que tu n’as rien compris à rien, alors siffle moi un coup de cette flotte, on refera le plein tout à l’heure : il y a une source plus bas. Maintenant on va causer, histoire de te remettre sur le bon chemin. »

Borg a l’impression qu’il pourrait avaler toute l’eau mais il boit juste quelques gorgées et rend la gourde à l’homme en le remerciant vivement.

- « Moi c’est Jeannot, et toi ? »

- « Enchanté Jeannot, moi je suis Borg. »

- « Tu peux me dire  « tu » mon gars, puisqu’on va faire un bout de route ensemble. Plus loin dans la vallée, il y a un bon petit refuge ou on pourra casser une petite graine et dormir un bon coup. »

Un temps de silence se passe pendant lequel ils descendent tous les deux l’un derrière l’autre vers la vallée. Puis Jeannot reprend le dialogue :

- «  Tu viens d’où mon gars, si c’est pas indiscret ? »

- «  J’aimerais bien le savoir. »

- «  Je veux dire : avant que tu te paumes? »

- «  De Paris. »

- «  Ah ! tu es donc en vacances par ici… »

- «  Pas vraiment. Je ne sais pas comment dire cela mais… Je ne sais pas où on est. »

- «  Tu veux dire, mon gars, que tu es paumé, dedans comme dehors ? »

- «  C’est… assez vrai »

- «  Ne t’en fais pas mon pote, moi, je suis un vieux de la route, tu n’as qu’as rester avec moi le temps de te retrouver, il ne pourra rien t’arriver de mal. »

- «  Je ne veux pas t’encombrer, une fois que j’aurai trouvé un village, je pourrai me débrouiller.»

- «  Et tu veux prendre la route  tout seul pour Paris je suppose ? »

- «  Oui. »

- «  Eh bien ! Je voudrais bien voir ça, un petit gars comme toi tout seul sur la route, tu ne sais pas ce que tu risques ! »

- «  Comme je n’ai pas grand chose, on ne me volera pas  beaucoup. »

- «  Ah mais je ne parlais pas de vol mon pauvre gars, ce que je voulais te dire, c’est que tu risques de te faire sodomiser en bonne et due forme, et encore, si c’est tout ce qui arrive, tu n’auras pas à te plaindre ! Il y a des fêlés sur la route, des créatures qui aiment voir crever les autres. Voilà ce que je voulais te dire, mon gars. »

- «  Et toi alors ? »

- «  Moi je suis habitué, je sais ce qu’il faut faire pour éviter ça, je connais les endroits où on peut aller et ceux où il vaut mieux pas. »

- «  Ah ! … Et… C’est loin d’ici Paris? »

- «  Eh bien pour être paumé, tu es paumé, on ne fait pas mieux dans le genre ! Bien sûr que c’est loin ton Paris, mon gars… Regardes, tu commences à le voir, le refuge, tout petiot là-bas dans la vallée, c’est L’Essaure qu’il s’appelle. Plus bas encore, où on ira demain, il a un village qui est Chichilianne, et à Chichilianne, c’est la route de Grenoble qu’il faut prendre si tu veux le revoir ton Paris ! »

Borg reste sans voix. Il est dans le Vercors, il aurait pu s’en douter, il y est déjà venu quand il était étudiant ! Comment a-t-il atterri ici ?

- «  Et c’est loin pour aller à Grenoble ? »

- «  D’en bas, ça fait environ une soixantaine de bornes, faut bien que tu comptes deux jours d’un bon pas! »

Borg se dit qu’il n’arrivera jamais à pied jusqu’à Grenoble.

Il demande :

- «  Et on ne peut pas faire du stop ? »

- «  Moi, ça, jamais, c’est comme ça qu’on trouve les fêlés. Tant que j’aurai mes jambes, je m’en servirai. »

- « Il n’y a pas de train? »

- « Si, à Monestier, Et comme tu vas sûrement me demander si c’est loin Monestier, je vais te dire tout de suite que c’est à 30 bornes d’en bas, de Chichilianne. »

- « Y a-t-il une banque à Monestier ? »

- « Ah ! Ça sûrement, c’est déjà une petite ville, Monestier. »

Borg est rassuré, s’il trouve une banque, il est sauvé. Il ne dit plus rien. Tout son corps recommence à lui faire mal. Il ne sait pas où il puise le courage de mettre un pied devant l’autre et de recommencer, comme si cela n’allait jamais finir. Mais quand, au bout d’un moment, il relève les yeux du chemin et aperçoit le refuge  considérablement rapproché, de nouvelles forces lui reviennent, il en pleure presque de soulagement. Il voit des moutons sur le versant encore ensoleillé, leurs ombres sont si longues qu’elles lui rappellent celles des dromadaires dans le désert. Le soir descend, son calvaire est bientôt terminé. Comme la fraîcheur arrive, Borg remet sa lourde veste à capuche et Jeannot sort de son sac une sorte de grand manteau qu’il enfile. Borg lui demande comment un si grand manteau peut tenir dans son sac.

- « Ça mon pote, c’est affaire de pliage. Moi, j’ai remarqué que ces parkas qu’ils te vendent, ils arrivent au ras des fesses et c’est pas ça qui tient chaud à tout le saint-frusquin. Alors quand j’ai vu les cow-boys avec leurs grands manteaux qui les protègent de tout, moi je me suis dit qu’ils étaient moins bêtes que les autres. Alors j’ai fait pareil. »

Borg est en lui-même plié de rire. Jeannot le cow-boy du Vercors !

Juste avant d’arriver au refuge, Jeannot lui dit :

- « On dirait qu’il n’y a personne, tant mieux, nous serons peinards tous les deux, comme ça on pourra causer un brin. »

Borg ne dit rien, pour lui, la causette sera courte, il meurt de sommeil. Mais Jeannot en a décidé autrement…

Quand ils entrent dans le refuge, Jeannot est content car effectivement, ils sont seuls. Il met son sac sur un banc et commence à le vider en posant sur la table des sacs en plastiques remplis de choses, des gamelles, des allumettes. Il va mettre un duvet sur un des lits en planches et sort sans dire un mot. Pendant ce temps, Borg choisit un autre lit et s’y allonge, et s’endort déjà, quand Jeannot revient, un gros paquet de bois dans les bras. Il voit Borg couché, le nez contre le mur, et pousse un hurlement:

- « Ey !!! Mais c’est que tu ne vas pas dormir le ventre creux mon gars, allez ! Remues ton popotin et occupes-toi des gamelles pendant que j’allume le feu. »

Borg se retourne et répond :

- «  Je mangerai demain, je suis trop fatigué ce soir, et puis je n’ai rien. »

- « Tu feras ce que je te dis mon kiki, quand la machine travaille, il faut prendre du carburant. Ne te casses pas, j’en ai pour deux, on en reprendra demain en bas. Allez, rappliques ! »

Comment résister à Jeannot quand on est fatigué, et qu’on a faim ? Borg se relève péniblement et déballe des gamelles en aluminium. L’odeur du feu est réconfortante, une image lui vient à l’esprit : «papatte en rond. » Le confort douillet du corps après l’épreuve. Des effluves de cuisine lui arrivent dans les narines. O temps, suspend ton vol, dans cet instant sublime où le corps satisfait rend l’esprit joyeux. Borg attend, la bouche impatiente, la boite de conserve qui mijote dans l’âtre.

C’est un bon repas, Borg, rassasié, sent sa curiosité s’éveiller tandis que son  envie de dormir s’éloigne. Qui est cet homme simple et généreux qui se promène tout seul sur les chemins ? Il n’ose pas poser de questions, mais avec Jeannot, les réponses viennent d’elles-mêmes.

- « Tu vois, mon gars, ça c’est une belle chose que d’aller où tu as envie quand tu veux, Maintenant on est là, bien repus, et demain, on va où ça nous chante ! »

Borg sourit et lui demande pourquoi il a voulu savoir son nom, puisqu’il l’appelle toujours « mon gars. »

- « Ah ça mon gars, c’est justement parce que je n’en ai jamais eu de gars à moi, que j’ai tendance à adopter plus ou moins tous ceux comme toi, qui traînent tout seuls. »

- «  Et tu n’as jamais pensé à te marier pour en avoir ? »

- «  Oh que si ! Ça m’est trotté par la tête plus d’une fois, mais tu vois, le problème avec les femmes et les mômes, c’est qu’il faut s’installer dans un coin et ne plus bouger, et ça, j’ai du mal. Quand je me sens coincé quelque part, ça me démange de partir, alors pour tenir, je me mets à picoler. Et ça, elles n’aiment pas les femmes. »

- « Pourquoi ? Tu deviens méchant ? »

- « Ah ! Ah ! Ah ! Méchant, moi ! Non, ça serait plutôt le contraire,  mais tu vois, quand on picole trop, on dégueule, et c’est ça qu’elles ne supportent pas : Le vomis d’ivrogne. Remarque, je les comprends, c’est pas ragoûtant. Ah ! Ah ! Ah ! »

Et les voilà tous les deux à rire comme des gamins sur cette cause douteuse, puis Borg lui demande, un peu gêné:

- « Je peux te demander comment tu fais pour gagner ta vie ? .. Mais tu n’es pas obligé de me le dire. »

- « Aucun secret là dessus, Je travaille, figures toi, enfin par moments, de quoi acheter le nécessaire pour le voyage, et comme tu vas sûrement me demander ce que je fais comme boulot, autant que je te le dise tout de suite : Un peu de tout… ce que je trouve, du boulot de manu, quoi. Je connais les adresses et les moments où il faut y être. »

- «  Tu arrives à te faire embaucher sans domicile fixe ? »

- «  Mais pardon, mon gars, je ne suis pas SDF.  J’ai mon adresse chez mon pote de Normandie. Il tient un petit bistrot de village et je vais passer les Noëls chez lui, parce que pour ses mômes, je suis un peu un tonton, quoi. Alors j’y reste un moment mais pas trop, vu le genre de commerce qu’il  pratique, c’est trop de tentation pour moi, si tu vois ce que je veux dire. Et puis depuis un petit moment, je commence à avoir mal au bide, c’est mon point faible le bide. »

- « Et tu as  vu un médecin ? »

- « Vouai, je suis allé à l’hôpital, et un toubib m’a filé une poudre qui ne m’a rien fait, alors j’ai laissé tombé, c’est tous des nullards ces toubibs, il m’a à peine regardé cet imbécile. »

- « Les toubibs, c’est comme le reste, il y en a des bons et des moins bons. »

- «  Mon gars, quand tu en trouveras un, de bon, tu me feras signe ! »

- « Cela se pourrait, Jeannot, compte là-dessus.  Ceci dit, si tu t’es bien organisé dans ta vie actuelle, que deviendras-tu quand tu seras trop vieux pour marcher et le reste ? »

- « J’y ai pensé, figures toi, mais je ne vais pas me pourrir toute la vie,  pour le moment où je serai vieux. De toute façon, quand on est trop vieux et qu’on ne peut plus rien faire, c’est pas la joie, même avec du pognon. Moi au moins, j’aurai vécu ma vie comme je l’entends, et à ce moment là, j’irai me terrer dans un coin de montagne et j’attendrai que ça finisse, comme les bêtes. Elles, au moins, elles ne font pas tout un cinéma avec la mort, ça fait partie de la vie, et voilà tout. »

Borg est stupéfié du personnage. Il trouve en pleine montagne un cow-boy philosophe et philanthrope, et, chose encore plus étonnante, Borg à l’impression de le connaître depuis longtemps. Cet homme possède tant de naturel et de bienveillance, qu’en sa présence, on est détendu, on a l’impression d’être chez soi. Et encore ! Borg ne se souvient pas d’avoir jamais été aussi bien chez lui. C’est qu’ici, il n’est pas jugé, on ne lui demande rien de plus qu’être lui-même. Cet homme, qui lui donne son amitié sans condition rayonne de joie de vivre. En pensant à ces choses, Borg tombe endormi sur la table et Jeanot le porte sur le lit et lui met son grand manteau en guise de couverture.

10 juin 2007

Du voyage à pied sur la route, Borg ne garde

Du voyage à pied sur la route, Borg ne garde  qu’un souvenir confus de mal de pieds, et du bruit des voitures qui les  frôlent. Jeannot reste silencieux, il doit regretter le calme de la montagne. Il a décidé de l’accompagner à Grenoble. Il veut être en Normandie pour Noël et comme il doit, entre temps travailler par-ci, par-là, il est temps, l’automne étant là, qu’il se mette en route.

Il fait remarquer qu’il y a un chemin plus court en retraversant la montagne, mais Borg lui dit fermement que pour le moment, il ne veut plus entendre parler de montagne. Ils peuvent se séparer maintenant que Borg connaît le chemin. Jeannot lui répond qu’il est hors de question de le laisser tout seul sur la route. Borg sourit en lui-même, une vraie nounou ce Jeannot. Ils continuent donc ensemble et font halte à Gresse en Vercors pour se reposer. Borg demande à son compagnon quelle est cette grande montagne si belle au-dessus de Gresse.

-  « C’est le Pic de l’Aiguille, Il s’est passé de drôles de choses ici pendant la dernière guerre. Figures toi que le maquis avait installé une espèce d’hôpital de fortune, dans une grotte, là-haut, ils soignaient aussi des allemands, des prisonniers. Quand ils ont été découverts, ils se sont fait tous massacrés par ces fêlés de nazis, tous, les docteurs, les infirmières, même les blessés dans cette foutue grotte. C’est un vieux pote berger qui m’a raconté ça, il y a presque 30 ans. On a mis un monument là-haut, et une fois que j’y passais, j’ai vu des allemands qui étaient là en pèlerinage. Sur le coup ça m’a choqué, et puis après je me suis dit qu’il n’y avait pas que des nazis en Allemagne. Ce sont ces foutues guerres qui déforment tout. »

Jeannot connaît le Vercors comme sa poche. Il y vient souvent depuis qu’il est jeune. « Mais plus pour longtemps dit-il, car le coin devient trop touristique, ce n’est plus l’endroit sauvage  de ma jeunesse. »

Borg lui rétorque que lui, il s’y est quand même perdu pendant deux jours sans voir personne.

-  « Tu as tourné en rond, mon gars c’est la seule explication. Bon, si j’étais tout seul je continuerais, mais comme je vois que tu es claqué, on va rester ici pour la nuit. »

Ils dorment dans la paille d’une grange, une des « résidences » de Jeannot. Le lendemain, il reste encore quatre heures de marche pour arriver Monestier. Ils en mettent presque cinq, car Borg traîne, il sent chaque ampoule de ses pieds à vif.

En arrivant à Monestier, Jeannot redevient pétulant d’une verve à laquelle Borg ne répond que par monosyllabes. A la fin, Jeannot s’en aperçoit et lui demande gentiment :

-  « Ben mon gars, qu’est ce que tu as ? Tu fais la gueule ? »

-       « Oh non ! Jeannot, je fais… les pieds. »

Jeannot regarde les chaussures de Borg et s’exclame :

-  « Mon pauvre gars, pourquoi ne me l’as-tu pas dit plutôt ? Je suis une sombre brute de te faire marcher comme ça sur le bitume avec ces tatanes infâmes ! Attends, je vais te prendre sur mon dos. »

Borg ne peut s’empêcher d’éclater de rire.

-  « Jeannot, tu portes déjà le sac à dos, comment veux-tu en plus porter un gros lard comme moi ? »

-  « Borg, quand un pote est en rade, il faut que tu saches que rien ne m’arrête, et même que je me sens capable de te porter en plus du sac : Je suis increvable. »

-  « D’accord, mais j’arriverai malgré tout à marcher jusqu’à un distributeur de billets. Après, il faut que je te dise que je suis décidé à prendre le train, si toute fois on trouve un de ces foutus distributeurs. »

-       «  Regardes ! Il y en a un là, mon copain, mais ne comptes pas sur moi pour le train, Tu sais que moi, je marche. »

-       « J’ai l’intention de t’inviter, Jeannot, non seulement pour le train, mais aussi pour une nuit d’hôtel à Grenoble. »

-  « Si tu crois que je vais me faire payer le train et en plus l’hôtel comme une pute, tu ne me connais pas. »

-  « Ecoutes, je ne peux pas continuer à voyager, même en train, avec des pieds dans cet état. Alors j’ai besoin de toi mon pote, il faut que je me soigne. J’ai besoin de faire tremper tout ça dans un bon bain, et pendant ce temps, je compte sur toi pour aller me chercher des médicaments, et me trouver des chaussures plus confortables. »

-  « Si tu as besoin de moi, ça change tout, alors c’est d’accord. »

Quand le train arrive à Grenoble, Borg pense que le mieux, c’est d’aller dans cet hôtel « Ibis » en face de la gare, idéal compte tenu de leur look, bien qu’à Grenoble le style montagnard soit assez standard.

Le réceptionniste de l’hôtel les regarde d’une drôle de façon, mais Borg est indifférent à tout ce qui n’est pas la clef d’une chambre à deux lits qu’il tient dans sa main.

Le plus dur est de retirer les chaussettes collées aux plaies. Quand Jeannot voit ça, il pousse un hurlement horrifié en disant qu’il en a connu dans sa foutue vie, des pieds de toutes les couleurs, mais qu’il n’a jamais vu ça ! Borg le calme en l’envoyant à la pharmacie avec une liste de produits et de l’argent.

-  « Pour les tatanes, ne te casses pas dit Jeannot, je m’y connais, des bons tennis, il n’y a que ça de vrai. »

Borg s’en moque éperdument, il est dans l’eau tiède, béat malgré la brûlure de ses pieds. Puis il pense à la lumière qui a déjà guéri la blessure de sa main, et veut savoir s’il peut la générer  volontairement. Il se concentre et parvient à visualiser la fleur. Puis la projète mentalement dans un de ses pieds, en lui donnant doucement des directives de guérison. La douleur s’estompe, mais les plaies ne changent pas d’apparence. Il passe à l’autre pied pour calmer la douleur. Même résultat. Il continue à « travailler » avec la fleur jusqu’au retour de Jeannot. La douleur a complètement disparu, l’inflammation est enrayée,  mais les plaies sont toujours là. Alors il sort de l’eau, se sèche et continue à se soigner les pieds avec les produits désinfectants et cicatrisants que Jeannot lui a rapporté, et finalement les momifie dans un bandage assez lâche. On verra demain, se dit-il.

Tandis que Jeanot utilise à son tour la salle de bains, Borg appelle la réception pour commander deux repas dans la chambre : Compte tenu de l’état de ses pieds, cela vaut mieux.

Il ne bouge plus de son lit, et c’est Jeannot, tout propre en sous- vêtements longs (encore style cow-boy) qui lui sert son repas. Une fois le repas terminé, Borg se laisserait bien aller au sommeil, mais il sent Jeannot qui commence à remuer sa langue dans sa bouche, en veine de parlotte. C’est vrai qu’il est increvable cet homme !

-  « Maintenant tu pourrais peut-être me raconter ton histoire ? Note bien que si je te demande ça, c’est pas par pure curiosité, mais peut-être que je pourrais t’aider, mon gars ! »

-  « D’accord Jeannot, mais je ne me souviens pas de tout… Cela a commencé quand… »

Borg lui raconte son malheur, la fuite de chez lui, son périple sur la rivière glacée, et la suite, jusqu’à l’instant où ils se sont rencontrés. Mais il ne parle pas de la fleur de lumière, ni du fait qu’il est médecin. Jeannot reste silencieux un moment puis lui dit :

-  « Tu as oublié un tas de trucs parce que tu as disjoncté mon pauvre gars. C’est arrivé à quelqu’un que j’ai connu, seulement, lui c’était pas sur une rivière qu’il vadrouillait le pauvre, c’était dans les nuages. Il marchait sur des nuages roses, et de temps en temps, il y avait des nuages noirs qui surgissaient, comme ça, et qui essayaient de le bouffer. Ils n’y sont pas arrivés, note bien, puisque le gars, il est toujours là. Mais cet abruti est allé raconter son histoire partout, à tout le monde. Ce qui fait que tout le monde l’a pris pour un dingo. Maintenant, ce gars, on ne connaît même plus son vrai nom. Tout le monde l’appelle « Nuage noir »… Remarque, vu qu’il est assez basané, les filles, elles croient que c’est un nom  indien. Et je ne sais pas pourquoi, mais maintenant, les filles, elles préfèrent les indiens que les cow-boys. »

Borg éclate de rire et lui dit :

-  « Cela ne t’arrange pas, hein, cow-boy ? »

-       « Ah ? Tu as remarqué ? Non, ça ne m’arrange pas. Mais pour en revenir à ton histoire, il vaut mieux que tu n’en dises rien à personne, et tu as intérêt à l’oublier toi aussi. Puisque tu te rappelles où tu crèches, et tout le saint-frusquin de ta vie, tu n’as qu’à y retourner et tout reprendre comme si de rien n’était. Voilà ce qu’il en pense le Jeanot. »

-       «  Je suis d’accord avec toi sauf sur un point : je voudrais savoir comment je me suis retrouvé avec des habits qui ne m’appartiennent pas, avec un portefeuille vide et une enveloppe contenant de l’argent. »

-       « Tu as sûrement été assommé par des gars pas trop mauvais qui étaient juste intéressés par ton fric et tes frusques, tu as eu de la chance, quoi. Après, peut-être que des gens t’ont ramassé et  emmené chez eux… Ou alors on t’a peut-être envoyé dans un centre où on s’occupe des cas comme toi. Puisque tu as vu des gens, sur ta rivière, je crois que c’est plutôt dans un centre que tu étais. Tu vois, mon gars, il y a des créatures qui ne pensent qu’à démolir les autres, et des gens qui passent leur vie à essayer de réparer tout ça. Ca fait une moyenne, quoi. »

-  « Peut-être bien, mais j’avais mon portefeuille sur moi, avec mes papiers, ma famille aurait du être prévenue. »

-  « D’abord, c’est pas la première chose qu’ils font dans ces endroits. Ils s’occupent d’abord de te remettre sur la voie. Peut-être bien qu’elle l’a été, prévenue ta famille, mais tu as peut-être foutu le camp avant qu’elle arrive. Toi, tu n’étais pas sur terre, mon copain, tu étais sur ta foutue rivière, et tu as paniqué pour en sortir vite... »

Borg réfléchit. Effectivement, il est parti très vite, mais l’enveloppe ? Alors Jeannot lui explique que parfois, les gens qui récupèrent les pauvres gars comme lui ont pitié et donne un peu d’argent pour les aider  « à refaire surface. » Pour Borg, tout cela reste confus, mais que faire, comme dit Jeannot, sinon faire avec ?

Borg tombe de sommeil et souhaite bonne nuit à Jeannot, qui, malgré ses airs d’homme des bois, ne semble pas mécontent de se retrouver dans un vrai lit. Après quelques soupirs d’aise, le sommeil vient et dure longtemps.

10 juin 2007

Borg se réveille le lendemain en entendant des

Borg se réveille le lendemain en entendant des gémissements. Jeannot est assis sur le bord de son lit et se tient le ventre dans les mains.

-      « Je t’ai réveillé, excuses-moi mon gars, mais j’ai un foutu mal de bide ! J’ai du trop bouffer hier soir. »

-  « Attends, je me lève et je vais voir cela. »

-  « Il n’y a rien à voir, c’est dedans que ça se passe. »

Borg sourit en lui-même et se demande quelle va être sa réaction  quand il va lui annoncer qu’il est médecin, mais il faut bien lui dire pour l’aider.

-  « Ecoutes moi, Jeannot, tu ne m’as pas encore demandé quel était mon métier, et je vais te le dire maintenant : Je suis médecin, alors laisse moi regarder ce foutu bide et essayer de comprendre le foutu mal qu’il y a dedans. »

-  « Ça, tu aurais pu me le dire avant, j’ai l’air idiot avec tout ce que j’ai dégoisé là-dessus. »

-  « C’est sans importance, d’ailleurs ce que tu as dit est souvent vrai. »

-  « Mais toi, je suis sûr que tu es bon, allez, vas-y, tripotes moi, mais en douceur, hein ? »

-  « J’espère pour toi que je suis devenu meilleur, car il n’y a pas si longtemps, j’étais comme tu l’as dit un nullard qui ne regardait pas les gens… Allonges-toi et détends-toi. »

Borg l’ausculte attentivement, lui pose quelques questions, puis rabat son pyjama. Il n’a pas trouvé de masse, mais le ventre n’est pas gonflé, donc ce ne sont pas des colites. Alors quoi ? Il est dérouté et cela lui donne un mauvais pressentiment. Jeannot lui demande :

-  « Alors tu as vu quoi à travers la viande ? »

- « Je ne peux rien dire sans avoir effectué certains examens, mon Jeannot, je t’emmène à Paris.

- « J’ai peut-être mon mot à dire, toubib, c’est MA carcasse, et si je dois crever, je n’ai pas l’intention de me laisser charcuter pendant des jours et des jours pour arriver au même résultat !

-  « Jeannot, il ne s’agit pas de crever, ni de charcuter, mais de faire des examens pour savoir justement si cela n’est rien. Mais si c’est quelque chose de grave, je te promets que je te le dirai et t’expliquerai tout ce qu’on peut faire, et ce sera toujours toi qui décideras. Tu es d’accord comme cela ? »

- « Et pourquoi ferais-tu tout ça pour moi ? » Demande-t-il, soudain méfiant. Borg lui répond en souriant :

- « Je pourrais te dire que si tu ne  comprends pas cela, c’est que tu n’as rien compris à rien, mais voilà la vérité : je veux te venir en aide, parce que pour la première fois de ma vie, j’ai le sentiment d’avoir une famille, et cette famille, c’est toi. »

Jeanot se lève et tourne en rond dans la chambre. Borg ressent son émotion. Ils sont tous les deux hors d’un contexte qui leur est familier. Ils prennent chacun dans leur esprit la mesure des paroles qui sont prononcées ici. Les sentiments qu’ils découvrent en eux sont nouveaux et changent la texture de leur existence. Jeannot lui demande :

- « Dis donc, ça me gêne un peu de te demander ça mais…tu n’es pas de la jaquette flottante, dès fois ? »

Borg éclate de rire et le rassure : il est absolument hétérogène.

- « Tu as des parents, pourtant, alors qu’est ce que je viens faire là dedans?»

- « Disons que mes parents sont… indifférents, je pense qu’ils se suffisent à eux- même et que je suis là comme… une erreur. »

-  « Ton prénom, Borg, c’est étranger, ç’est peut-être bien pour ça que tes parents sont bizarres. Et as-tu des frères et sœurs ? »

Borg rit de bon cœur et lui répond :

- « Non, je suis fils unique, et mon prénom n’a pas d’origine étrangère mais romanesque. Ma mère a craqué pour un héros de roman qui portait ce nom, et le drame, c’est que je l’ai déçue, elle s’attendait à autre chose, sans doute.»

-  « Bon, récapitulons, tu veux m’emmener à Paris, OK, je te suis, mais est ce que tu as pensé au pognon ? Ça va coûter combien tout ça, ces examens et tout le saint-frusquin ? »

-  « Ah oui, le pognon, le fric, l’argent ! Et si on oubliait tout ça pour un moment et qu’on ne pense qu’à l’important : A la vie ?

-  « D’accord, je te fais confiance mon petit gars, et il faut que tu saches que je ne suis pas sans rien, j’ai des petites économies, alors dès fois que les frais, ça dépasse, on pourra y piocher. Tu vois, mon gars, moi je pense qu’il faut faire le max pour sauver sa peau, et je suis prêt à ça. Mais il ne faut pas s’acharner quand il n’y a plus rien à faire. On est d’accord ? »

-  « On est d’accord. »

Quand Borg en eu terminé avec le ventre de Jeannot, il se met à s’occuper de ses pieds – il ne souffre plus – et constate que ses plaies sont cicatrisées. Il pense que l’alliance de la science et du paranormal donne des résultats prodigieux. Il se souvient d’un ouvrage de Jung qu’il a eu l’occasion de lire un jour : « Psychologie et religion. » Pourquoi toujours ramener le paranormal à la religion, alors que justement, la religion (surtout la religion catholique) réfute le paranormal, et n’est pas loin de le considérer comme « l’œuvre du diable. » Borg est saisi par ce raisonnement. Pourquoi, en effet, alors que l’enseignement du Christ était basé sur les guérisons miraculeuses. Il a dit lui-même (selon la bible)  « Toutes les œuvres que j’ai faites, vous pouvez les faire. » Borg a le cerveau en ébullition et se sent une hâte terrible de commencer des recherches pour trouver une réponse à toutes ces questions. Mais dans l’immédiat, la grande priorité est de s’occuper de Jeannot. Il lui dit :

-  « Tu vas rester tranquillement ici à te reposer pendant que je vais chercher les billets de train. J’en aurai peut-être pour un petit moment car je vais te prendre un médicament qui te soulagera et je voudrais aussi m’acheter des habits plus… standards. »

-  « Mais tes pauvres pieds ? »

-  « C’est fini, tout est cicatrisé, ne t’en fais pas. »

-      « Il faudra que tu me donnes le nom de tes produits, ça peut toujours servir, mais ne te fais pas de mouron, je t’attends mon gars. »

Borg s’est procuré un jean, une chemise et un blouson. Il a également acheté des sous-vêtements et un petit sac à dos. Le prochain TGV pour Paris est vers 14h. Le préposé lui dit qu’il aurait pu réserver par téléphone, mais Borg n’y a pas songé. En fait, il ne s’est jamais occupé de ce genre de choses. Le départ à 14h. C’est parfait, Cela leur laissera le temps de déjeuner, et ils arriveront à Paris en fin d’après-midi. En revenant à l’hôtel, Borg pense à sa femme qui est partie avec son meilleur ami. Quel vaudeville, pense-t-il avec un sourire. Ceci dit, cela n’était pas un véritable ami, et surtout pas le meilleur. Néanmoins, Borg espère qu’ils seront heureux ensembles, afin que  cette histoire ait une fin heureuse pour chacun d’entre eux. Pour lui, tout va bien, en dehors du problème de ventre de Jeannot qui l’inquiète.

Le voyage en train est excessivement silencieux ce qui étonne Borg, compte tenu du grand besoin de communication de Jeannot. Seulement vers la fin du parcours, il commence à s’agiter sur son siège et lui demande :

-  « Mais chez toi, mon gars, ils ne vont pas être étonnés de voir débarquer quelqu’un comme moi ? »

Borg le rassure : Il vit seul, maintenant. Quant à l’étonnement, Borg pense que ses proches auront des sujets d’étonnement plus importants que la présence de Jeannot.

10 juin 2007

CHAPITRE 3 Un taxi les conduit de la gare de Lyon

CHAPITRE 3

        Un taxi les conduit de la gare de Lyon à l’avenue Malakoff où il habite. Quand ils pénètrent dans le hall, Borg demande à Jeannot de l’attendre devant l’ascenseur, il doit aller chercher ses clefs chez la concierge. Borg se dirige vers la loge, sonne, et attend. Quand la porte s’ouvre, un torrent d’exclamations sort de la bouche d’une petite femme rondelette, presque plus large que haute… Tout le monde était si inquiet, on se demandait où était passé Monsieur, c’était pas gentil de laisser sa pauvre mère dans l’angoisse, comme ça, même que sa mère était encore venue hier, dans tous ses états, et qu’elle est si contente de revoir enfin Monsieur, et en bon état, et…Borg l’interrompt :

-   « Madame Belbish, Merci, c’est gentil à vous, mais je vais très bien, et je m’occupe de tout ça, je voudrais simplement mes clefs. »

Il retrouve Jeannot hilare dans l’ascenseur :

-   « Eh bien pour une belle biche, ta pipelette, elle se pose là ! Elle serait plutôt du genre belle vache, non ? Ah ! Ah ! Ah ! »

Borg rigole, lui aussi. Avec Jeannot, et pour diverses raisons, il a souvent l’impression d’avoir vingt ans.

L’entrée dans l’appartement laisse Jeannot muet… mais pas pour longtemps ;

-   « C’est un musée que tu habites ? »

-   « Arrêtes de te moquer de moi. Cet appartement, ce n’est pas moi qui l’ai décoré, c’est… enfin, c’était le goût de ma femme. »

-   « Si tu me dis que c’est pas le tien, c’est que tu es difficile, mon pote. »

-   « Désolé de te décevoir, mais je n’aime pas vivre dans le passé, je préfère le contemporain. »

-       « Mon gars, tu ne trouveras plus maintenant du bel ouvrage comme ça. Ce genre de travail, ça me laisse pantois. D’ailleurs… mais je n’en crois pas mes yeux, c’est un Chippendale, ce truc, si je me trompe, je veux bien qu’on me les coupe ! »

Pendant que Jeannot s’extasie, Borg téléphone pour prendre rendez-vous dans le centre de radiologie avec lequel il travaille habituellement. Il arrive, en insistant, à obtenir un rendez-vous après demain.

Jeannot, devenu fébrile, déménage un petit meuble et pousse un hurlement de joie quand il trouve la signature. Borg, stupéfié demande :

-  « Mais je ne savais pas que tu t’intéressais aux meubles d’époque… »

-  « C’est que tu ne me l’as pas demandé, il n’y a pas que les westerns qui me branchent dans la vie…Ah ! Ah ! Ah ! »

-  « Et où as-tu appris tout ça ? »

-  « D’abord j’ai bossé pour un gars, un vieux compagnon, qui avait la passion de ces trucs là, alors il me l’a refilée. Et après, j’ai lu des livres. »

- « Je crois que tu ne finiras jamais de m’étonner ! »

-  « C’est normal, les bourges comme toi, ils pensent que tous les traîne-grolles comme moi, on est des sous-produits, avec des cervelles ramollies. Note bien que c’est souvent vrai. C’est comme quand je pense que les toubibs, c’est tous des nuls. Si on s’enferme la comprenette dans des idées comme ça, on passe finalement à côté de pas mal de choses. »

-  « C’est tout à fait vrai, et je trouve que notre rencontre est une chose fabuleuse ! »

-  « Mais toutes les rencontres sont fabuleuses, si tu y fais attention, elles peuvent toutes t’apprendre quelque chose de nouveau. Et c’est ça qui me plait dans le voyage : Tu rencontres un tas de gens avec leurs histoires, et toi tu cogites là-dessus pour savoir comment tu peux les aider ou t’en faire des potes. Et après, tu te barres tout seul en pleine nature, histoire de réfléchir sur toi. Parce que, il faut aussi se connaître soi- même, sinon on ne peut pas s’arranger là où ça cloche.»

-  « Mais tous ces gens que tu rencontres ne sont que des étrangers, Jeanot, tu perds ton temps à t’occuper d’eux, ils n’en ont peut-être rien à faire de toi et de ton aide, et crois-tu qu’ils t’en soient reconnaissants ? »

-  « Moi, étranger, je ne sais pas ce que ça veut dire. Il y a des milliards de petits bonhommes et bonnes femmes dans le monde que je ne connais pas parce que, mon gars, la vie est trop courte pour qu’on puisse les rencontrer tous, même en voyageant beaucoup, ça, c’est le hasard. Mais à chaque fois que j’en rencontre un nouveau,  si c’est pas un fêlé, c’est un pote. Quant à la reconnaissance, si tu attends ça pour vivre ta vie, tu risques d’être déçu. La plupart du temps, quand tu aides un gars, une fois qu’il s’en est sorti, tu lui rappelles un mauvais souvenir, alors forcément, il n’a pas envie de te revoir, c’est normal. »

-  « Et tous les « petits gars » dont tu m’as parlé, et que tu as aidés, tu ne les revois pas ? »

Jeannot rigole doucement et répond :

-  « Non, mais rassures toi, ça ne me traumatise pas, le principal, c’est qu’ils s’en sortent. Ce qui commence à me gêner, par contre, c’est  de tchatcher comme ça, des heures sans boire un coup, et si tu avais un peu de liquide à faire glisser le long du gosier,  ça ne serait pas de refus. »

Borg, passionné par leur conversation, a oublié l’heure et ne s’est pas encore occupé de la pitance. Maintenant, il prend conscience qu’il  est sur son territoire et que c’est à lui d’assumer.

-  « Excuses moi, j’aurais du y penser, je vais te chercher de l’eau. On continue comme en montagne avec de l’eau. Tu veux bien ? »

-  « Sans problème, mon gars, vu le mal de bide que je me suis payé ce matin, ça paraît raisonnable. » Répond-il en jetant un regard de regret sur le bar somptueux qui rayonne dans un coin du salon. Puis il reprend :

-  « Il serait peut-être temps d’aller faire des courses, il n’y a plus rien à bouffer dans nos fourbis. »

-  « Ne t’inquiètes pas pour le repas, je passe un coup de fil, et on nous apportera ce qu’il faut. »

Borg commande au traiteur du coin chez qui il a un compte, un repas simple pour deux personnes.

Les deux compères se désaltèrent, puis Borg montre sa chambre à Jeannot – qui ne dit rien – mais siffle un bon coup. Ils retournent ensuite dans le salon et Borg commence à installer des couverts sur une petite table, quand on sonne à la porte.

Un jeune livreur lui tend deux grands cartons que Borg va poser sur la table. Il donne une signature, sort un billet de sa poche pour le pourboire et le remercie. Pendant ce temps, Jeannot qui s’occupe d’ouvrir les cartons lui demande :

-  « C’est un billet de combien que tu lui as filé ? »

-  « Dix euros, pourquoi ? »

-  « Pour savoir. Ça n’est pas cher dans ton quartier ! »

Borg ne dit rien. Jeannot et lui vivent dans des mondes si différents que c’est un miracle, qu’ils se soient rencontrés.

Après le dîner, Jeannot lui demande :

-  « Et tu n’appelles pas ta vieille ? Tu as entendu ce que la belle biche a dit : Elle s’inquiète, ta mère. »

-  « Ne te fais pas de soucis pour ma mère, ses visites à la concierge sont du cinéma. Elle joue dramatiquement son rôle de pauvre mère abandonnée, mais cela ne l’affecte pas. Crois-moi sur parole, il y a eu beaucoup de choses au cours de ma vie qui le prouve, mais je n’ai pas envie d’en parler. Ceci dit, j’appellerai tout le monde demain, car il faut bien faire redémarrer la machine, ne serait-ce que pour les informer que maintenant, c’est moi qui suis aux commandes. En attendant, Jeannot, je garde cette soirée pour nous deux. »

Borg et Jeannot ont continué à parler jusqu’à une heure tardive, comme deux vieux amis qu’ils sont devenus.

10 juin 2007

Le lendemain matin, Borg se réveille tard. Il met

    Le lendemain matin, Borg se réveille tard. Il met un moment à émerger dans la réalité, puis pousse le fameux cri de victoire de sa jeunesse : « Montjoie Saint-Denis ! » Encore une belle journée de vacances avec son copain. Il se lève, passe devant la chambre de Jeannot et voit la porte grande ouverte. Personne. Il est déjà levé l’increvable ! Il se dirige en pyjama vers le salon, et là, surprise ! Jeannot est devant la fenêtre, vêtu d’un pantalon bleu foncé, d’un gilet assorti et d’une très belle chemise blanche, ornée d’une Lavallière de soie bleue. Il a attaché ses cheveux sur la nuque avec un ruban bleu lui aussi. Avec son teint hâlé et ses grands yeux clairs, il est magnifique. Borg reste pantois et lui dit :

-  « Jeannot, tu me réserves toujours des surprises étonnantes, tu as l’air d’un marquis ! »

-  « Ne te fous pas de moi, mon gars, j’ai mis mes beaux habits pour ne pas déparer chez toi, et c’est tout. »

-  « Et… tout ça sort aussi de ton sac ? »

-  « Vouai, mais là tu as tout vu, les fripes de voyage, mes beaux habits, et mon manteau, avec les sous-vêtements et le duvet, plus les gamelles, ça fait un bon sac, et il reste les poches pour la bouffe et la flotte…. Ce qui est dommage, c’est que je n’aie pas d’autres tatanes, mais on fera avec. »

Borg n’a pas remarqué que Jeannot porte de gros tennis. L’effet est si surprenant qu’il éclate de rire.

-  « Tu chausses du combien ? »

-  « Un bon 43. »

-  « Ça tombe bien, moi aussi, je vais t’en prêter une paire, va dans le placard de ma chambre et regardes si tu trouves quelque chose qui te convienne, pendant ce temps, je vais aller boire mon café. »

Borg déjeune en vitesse et passe dans la salle de bains, il a horreur de traîner en pyjama. Quand il sort en peignoir, Jeannot l’attend dans le couloir, avec au pied une paire de chaussures bleu sombre. Il dit :

-  « J’ai mis un moment à choisir, il y en a pour tout un régiment ! »

Borg sourit et répond :

-  « Le principal est que tu aies trouvé chaussure à ton pied ! Je vais te laisser un moment ce matin, j’ai des affaires à régler et des gens à voir. Mais j’ai pensé qu’on pourrait prendre un bateau-mouche cet après- midi ou ce soir, si tu préfères Paris by night. »

-  « Paris by night is really the best. »

Borg retient sa surprise, et ne lui demande pas où il a appris l’anglais, pendant un voyage sûrement. Il est décidé à ne plus s’étonner de rien en ce qui concerne son étrange compagnon.

Pendant l’absence de Borg, puisque celui-ci lui a dit de faire comme chez lui, Jeannot entreprend l’exploration de la vidéothèque, espérant trouver des westerns. Pas de westerns. Il se dirige alors vers les disques et cassettes et là, miracle! Il y a tout ce qu’il faut pour satisfaire un mélomane : musique classique, moderne, et jazz. Des bonnes choses. Jeannot fait son choix et s’installe dans un fauteuil pour écouter la merveille : Les gnossiennes d’Erik Satie interprétées par Daniel Varsano. Soudain, on sonne à la porte.

-  « Mille sabords, on ne peut pas être tranquille dans cette piaule ! »

Quand il ouvre la porte, il se trouve en face d’une grande et belle dame d’un certain âge qui lui dit :

-  « Bonjour Monsieur, vous êtes sans doute l’ami de mon fils, dont m’a parlé Madame Belbish. Elle m’a prévenue que Borg était rentré chez lui, et je suis venue tout de suite. »

-  « Enchanté, madame, mais je suis désolé de vous annoncer que Borg s’est absenté un moment. »

-  « Puis-je, Monsieur, vous demander d’entrer l’attendre ? Cela fait si longtemps que je me languis de lui ! »

Ils entrent tous les deux dans le salon, et s’assoient.

-  « Ah mon pauvre ami, si vous saviez tous les soucis que cet enfant m’a donnés ! Mon fils, c’est mon chemin de croix, Monsieur, croyez-moi. Pourtant, nous avons tout fait pour lui, mon mari et moi, mais en vain. Jusqu’à la semaine dernière où il disparaît sans rien dire. Vous imaginez, Monsieur, l’angoisse d’une mère ! Là encore, je lui avais bien dit que c’était une erreur, ce mariage, mais il n’a rien voulu entendre. Remarquez, cette petite, je n’ai rien contre elle, mais il est toujours aléatoire de ne pas se marier dans son milieu… Mais je vous ennuie peut-être avec mes histoires ? »

Jeannot sent son nez qui le gratte, ce qui est chez lui signe de colère. Comme il sait combien ses colères peuvent être violentes quand il s’y laisse aller, il se contrôle. Il déteste qu’on dise du mal de ses potes. Mais il n’est pas chez lui, et c’est la mère de son pote. Alors il décide de faire diversion :

-  « Madame, Puis-je me permettre de vous offrir un café ? »

-  « Volontiers, c’est très aimable à vous. »

Jeannot s’enfuit vers la cuisine en respirant profondément pour se calmer. Il reste assez du café de ce matin pour deux tasses. On va le réchauffer, se dit Jeannot, c’est tout ce qu’elle mérite cette pétasse. Pendant qu’il prépare un plateau, il entend des pas dans le salon, puis des bruits de papiers. « Elle ne serait pas en train de fouiller dans les paperasses de Borg, cette mégère, quand même. » Se dit-il. Il attrape le plateau en vitesse et retourne au salon. La femme est assise dans son fauteuil, l’air innocent.

Il pense très fort : « Tu n’es pas chez toi, ne la ramènes pas. »

Il sert le café, et tout aurait encore pu bien se passer, si la mère de Borg n’avait pas recommencé sa plaidoirie contre son fils. Jeannot la laisse parler, il la regarde en l’écoutant, surtout les yeux. Alors la femme remet ça, ses calomnies se font plus insidieuses, elle dénigre à grands coups de langue, elle salit à grands coups de bave ce fils, son fils unique, qu’elle hait. Jeannot voit son regard vide et glacé. Il comprend alors : C’est une fêlée. Cela stoppe net sa colère, et c’est très calmement qu’il lui dit :

-  « Madame, avec tout le respect que je vous dois, si vous n’avez pas quitté cette maison d’ici trois secondes, je vous fous dehors en vous bottant le cul façon dix-huitième. »

Jeannot se retrouve tout seul, assez ennuyé tout de même d’avoir viré la virago. Comment son pote va-t-il prendre ça ? C’est vrai qu’il ne croyait Borg qu’à moitié quand il parlait de sa mère. Comment une mère peut-elle ne pas aimer son enfant ? Un père, encore, ça peut se comprendre, mais une femme qui a porté son petit dans son bide pendant neuf mois, qui l’a vu naître, grandir… C’est vraiment une fêlée.

Dès que Borg entre dans le salon, il trouve son ami occupé à écouter des disques. Il voit tout de suite que quelque chose ne va pas… Comment dire ? …C’est imperceptible, mais on dirait qu’il est « éteint. »

-  « Il y a un problème, Jeannot ? Tu as mal au ventre ? Tu t’es senti seul ? »

-  « Eh bien ça serait plutôt le contraire, figures toi. J’ai eu de la visite : ta mère. »

-  « Ma mère ? Mais je ne l’ai pas encore appelée… Ah ! C’est la Belbish, sans doute, elle va m’entendre, celle-là. Et alors, cela s’est bien passé ?

-  « Ça aurait pu mieux se passer… »

Alors il lui raconte la visite d’un air penaud, et la manière dont il a « viré la vieille en bonne et due forme. » Chose surprenante, il voit son pote partir dans un fou rire incoercible. Impossible de l’arrêter, c’est la crise. Borg pense à sa mère, menacée par un marquis du XVème, de se faire botter le cul façon XVIIIème, et le rire reprend, jusqu’aux larmes.

-  « Je suis content que tu le prennes comme ça, je craignais ta réaction. Ceci dit, il ne faut pas lui en vouloir à ta mère, c’est une fêlée, la pauvre. »

Borg se calme et lui demande :

-  « Voilà plusieurs fois que je t’entends parler des fêlés. Tu veux dire quoi, par fêlé ? »

-  « Je veux dire que pour moi, dans le monde, il y a trois sortes de gens qui ne sont pas dans la norme : les fadas qui sont nés comme ça les pauvres, le cerveau mal fini. Les dingos qui ont disjoncté pour une raison ou une autre, et qu’on peut récupérer, mais ces deux catégories là, sont sans danger, et puis les fêlés. Et quand je dis fêlés, c’est qu’ils ont vraiment une fêlure dans la tête par où tout le bon est sorti. Il ne reste plus que le mauvais, et alors, il faut faire gaffe à soi, parce qu’ils n’ont qu’une passion dans la vie : détruire tout et tout le monde, des fêlés, quoi. »

Borg hésite entre le rire et l’admiration. Il aimerait confronter Jeannot à un de ses collègues psy, le résultat de l’échange de point de vue pourrait être surprenant. Mais ce schéma simpliste est loin d’être bête.

Il est parfaitement d’accord avec Jeannot en ce qui concerne sa mère. Quand il était plus jeune, il la nommait « cœur sec, langue de vipère », puis plus tard « vipère au poing », selon le roman du même nom. Il se souvient qu’il avait inscrit sur son bureau : « Peau de vache, j’aurai ta peau », et autres mouvements de révolte du même style, qui le soulageaient sur le moment, mais le rongeaient de remord par la suite. Comment haïr sa mère quand on est un petit garçon ? Il n’y est jamais vraiment parvenu. Mais il a appris à se méfier. Ne rien dire, ne rien voir, ne rien entendre. Car chaque chose qui lui tenait à cœur semblait disparaître sans qu’il sache pourquoi. Toutes les choses qu’il n’aimait pas revenaient toujours. Sans cesse être critiqué, dénigré, rapetissé. Il sait qu’en psy, on appelle cela perversité, mais il préfère s’en tenir au terme de Jeannot : fêlée, c’est moins dur à porter.

Jeannot le voit silencieux et lui demande :

-  « Mon petit gars, je ne t’ai point fait de mal, au moins, avec ma grande gueule ? »

-  « Non, au contraire, tu m’as permis d’exorciser une vieille histoire. Mais si tu veux bien, nous ne parlerons plus de ma mère. En espérant qu’elle me laisse en paix, ce qui semble aléatoire. A chaque jour sa peine. En ce qui nous concerne, j’ai réservé deux places pour le bateau-mouche ce soir, et j’ai fait quelques courses pour midi. A toi de savoir ce que tu veux faire cette après-midi. »

-  « Si on sort ce soir, j’aime autant rester peinard à la maison, à moins que tu n’aies envie de te balader. Et… Je… En fait j’aimerais que tu m’expliques ce que j’aurai à subir comme examen demain. Voilà. »

-  « Tu te fais du souci mon Jeannot, mais moi je suis sûr que tu n’as rien de grave. Il faut une analyse de sang, et je m’en occuperai moi-même, puis une échographie des intestins. Ne t’inquiètes pas, tout ceci est sans douleur. »

- « Tu es sûr que je n’ai rien ? Pourtant tu n’avais pas l’air tranquille à l’hôtel, l’autre jour. »

-  « Tu as raison, j’étais inquiet, mais depuis, il m’est venu une espèce de certitude. »

-  « Alors, les examens, ce n’est plus la peine ? »

-  « Si, on doit vérifier, je ne peux pas me contenter d’une intuition pour une chose aussi importante que  ta santé, mon Jeannot. »

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LA RIVIERE GLACEE
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