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LA RIVIERE GLACEE
10 juin 2007

- « Tu as une semaine pour réfléchir. Mais je te

-  «  Tu as une semaine pour réfléchir. Mais je te demande de n’en parler à personne, même pas à Marie. J’ai l’intention la semaine prochaine d’organiser une fête extraordinaire, avec tous ceux que j’aime. Je voudrais qu’on attende ce moment pour leur en parler. Tu me comprends ? »

-  «  Parfaitement ! Répond Jeannot en souriant. Tu veux leur présenter ça comme un conte de fée pour les inciter à venir ? »

-  «  Non, Jeannot, je veux leur prouver que c’est vraiment un conte de fées. D’ailleurs n’oublies pas que nous sommes entourés de fées. »

Comme l’heure avance, et que les femmes les attendent pour le déjeuner, ils font demi-tour et ne s’occupent plus que de leur monture. Eureux a bien du mal à suivre Beauty. Sur les courtes distances, songe Borg, mais en endurance, cela reste à prouver. Si Jeannot et Beauty sont en osmose, Borg commence à ressentir la même chose avec Eureux. C’est son regard qui l’a fait craquer. Là aussi Jeannot a raison. Eureux le regarde comme s’il était un dieu. C’est toi le dieu, lui murmure Borg à l’oreille, et n’écoutes pas Jeannot quand il dit que tu es moche. Moi je te trouve très beau.

Ils arrivent à la maison pour se mettre les pieds sous la table, et Borg en est confus. Il se souvient de la rébellion de Marie en ce qui concerne leurs continuelles obligations ménagères, et déclare :

-  «  Demain, c’est Jeannot et moi qui nous occuperons des repas et du reste. Vous prendrez la voiture et  irez dans les magasins ou ailleurs, mais prenez du bon temps : Vous l’avez bien mérité. D’accord, Jeannot ? »

-  «  Tout à fait, d’ailleurs cette idée me trottait par la tête. Tu m’as devancé, voilà tout. »

Les filles exultent : Enfin un moment de liberté !

Puis Borg décide qu’ils iront ensemble en fin d’après-midi, constater la décrue de la vallée. Jeannot fronce les sourcils et dit :

-  «  Il serait préférable d’attendre un peu. Le spectacle ne doit pas être agréable pour le moment. »

Borg réalise qu’il vient de commettre une bévue. Jeannot a raison. La décrue doit révéler des scènes abominables. Quel sinistre crétin il peut être parfois ! Alors pour changer le cours des pensées morbides, il dit que cet après-midi, finalement, ils se reposeront, parce que ce soir, il les invite au restaurant à Evreux. Qu’ils se fassent beaux, et que la vie chante sur un rythme endiablé. Après, et malgré toutes ces épreuves, ce soir, ce sera la fête, parce que, dans son âme lumineuse, il sait que les morts sont toujours vivants.

        Après cette soirée mémorable – ils ont bu et chanté plus qu’il n’est raisonnable – La nuit à été longue, et si les animaux n’avaient pas clamé leur faim au matin, ils dormiraient encore. Alors les filles se préparent – qu’on ne les attende pas, elles déjeuneront dans un « Mac’Do » – Et les hommes les regardent partir avec une (toute petite) inquiétude.

-  «  Soyez sages. » Dit Jeannot

-  «  Soyez prudentes. » Dit Borg

Et ils restent là les bras ballants à regarder disparaître la voiture de leurs amours au dernier virage.

Puis ils se mettent au travail : ménage, machine à laver, repassage, tout le saint-frusquin, quoi ! Borg profite de leur solitude pour appeler son père :

-  «  Bonjour papa ! Je… En fait, en ce qui concerne le fameux projet… Eh bien je n’en ai parlé qu’à Jeannot, mais je voudrais organiser une fête la semaine prochaine pour en informer tout le monde. Je voudrais quelque chose de féerique. Et… Je voudrais que tu viennes aussi, et… Je voudrais que nous puissions y séjourner un jour et une nuit. Et… Je ne sais pas comment organiser ça, maintenant que je n’ai plus de maison… Je… voudrais un conseil, tout simplement. »

- «  Laisses-moi deux jours pour m’occuper de ça, et je te rappelle. Je te quitte parce que je ne suis pas seul, mais comptes sur moi. Et mon bonjour à Béryl, Jeannot et Marie ! »

        Effectivement deux jours plus tard, son père le rappelle pour lui dire que tout est arrangé. Il a loué – avec le personnel – le château de *** pour deux jours. Tout sera conforme à ses souhaits, y compris la féerie. Borg en reste muet. Il songe à ce que son père lui a dit au sujet de sa fortune. L’argent est une clef magique qui peut, dans ce monde, ouvrir toutes les portes, y compris celle de l’injustice.

Mais Borg est trop heureux et trop reconnaissant pour « mordre la main qui le nourrit. » Vendredi prochain, sa vie prendra un autre tournant, et cela l’enchante parce qu’il a confiance. Cette confiance est née de la lumière qui l’a sauvé des pièges de la rivière glacée, qui l’a mené vers Jeanot, puis vers Béryl. Et son visage, transfiguré, atteint une beauté sublime.

        Pour la plupart des gens, une fête réussie est une rose parmi les ronces, un moment lumineux dans la grisaille du quotidien. On en retient le souvenir comme on garde une fleur séchée, avec une certaine nostalgie, parce qu’on refuse qu’elle meure déjà.

Et puis il y a ceux qui savent vivre la fête chaque jour de leur vie. Ce sont ceux qui saluent chaque nouveau jour comme si c’était le premier du monde. Ceux qui ne s’enferment pas dans l’habitude, et sont prêts, tout de suite, à partir au pays où la vie est plus belle. Ils savent regarder, et ne se contentent point de voir. Regarder la lumière changeante dans les yeux de ceux qu’on aime, la qualité de certains regards, et même le mouvement des nuages qui assombrissent le ciel. Ceux qui saluent la pluie comme une vieille connaissance, au lieu de la maudire comme une ennemie. Ceux qui voient les mains tendues et savent les remplir. Ceux qui donnent sans compter leur sourire en cadeau. Ceux qui rayonnent de la force d’aimer.

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