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LA RIVIERE GLACEE
10 juin 2007

Du voyage à pied sur la route, Borg ne garde

Du voyage à pied sur la route, Borg ne garde  qu’un souvenir confus de mal de pieds, et du bruit des voitures qui les  frôlent. Jeannot reste silencieux, il doit regretter le calme de la montagne. Il a décidé de l’accompagner à Grenoble. Il veut être en Normandie pour Noël et comme il doit, entre temps travailler par-ci, par-là, il est temps, l’automne étant là, qu’il se mette en route.

Il fait remarquer qu’il y a un chemin plus court en retraversant la montagne, mais Borg lui dit fermement que pour le moment, il ne veut plus entendre parler de montagne. Ils peuvent se séparer maintenant que Borg connaît le chemin. Jeannot lui répond qu’il est hors de question de le laisser tout seul sur la route. Borg sourit en lui-même, une vraie nounou ce Jeannot. Ils continuent donc ensemble et font halte à Gresse en Vercors pour se reposer. Borg demande à son compagnon quelle est cette grande montagne si belle au-dessus de Gresse.

-  « C’est le Pic de l’Aiguille, Il s’est passé de drôles de choses ici pendant la dernière guerre. Figures toi que le maquis avait installé une espèce d’hôpital de fortune, dans une grotte, là-haut, ils soignaient aussi des allemands, des prisonniers. Quand ils ont été découverts, ils se sont fait tous massacrés par ces fêlés de nazis, tous, les docteurs, les infirmières, même les blessés dans cette foutue grotte. C’est un vieux pote berger qui m’a raconté ça, il y a presque 30 ans. On a mis un monument là-haut, et une fois que j’y passais, j’ai vu des allemands qui étaient là en pèlerinage. Sur le coup ça m’a choqué, et puis après je me suis dit qu’il n’y avait pas que des nazis en Allemagne. Ce sont ces foutues guerres qui déforment tout. »

Jeannot connaît le Vercors comme sa poche. Il y vient souvent depuis qu’il est jeune. « Mais plus pour longtemps dit-il, car le coin devient trop touristique, ce n’est plus l’endroit sauvage  de ma jeunesse. »

Borg lui rétorque que lui, il s’y est quand même perdu pendant deux jours sans voir personne.

-  « Tu as tourné en rond, mon gars c’est la seule explication. Bon, si j’étais tout seul je continuerais, mais comme je vois que tu es claqué, on va rester ici pour la nuit. »

Ils dorment dans la paille d’une grange, une des « résidences » de Jeannot. Le lendemain, il reste encore quatre heures de marche pour arriver Monestier. Ils en mettent presque cinq, car Borg traîne, il sent chaque ampoule de ses pieds à vif.

En arrivant à Monestier, Jeannot redevient pétulant d’une verve à laquelle Borg ne répond que par monosyllabes. A la fin, Jeannot s’en aperçoit et lui demande gentiment :

-  « Ben mon gars, qu’est ce que tu as ? Tu fais la gueule ? »

-       « Oh non ! Jeannot, je fais… les pieds. »

Jeannot regarde les chaussures de Borg et s’exclame :

-  « Mon pauvre gars, pourquoi ne me l’as-tu pas dit plutôt ? Je suis une sombre brute de te faire marcher comme ça sur le bitume avec ces tatanes infâmes ! Attends, je vais te prendre sur mon dos. »

Borg ne peut s’empêcher d’éclater de rire.

-  « Jeannot, tu portes déjà le sac à dos, comment veux-tu en plus porter un gros lard comme moi ? »

-  « Borg, quand un pote est en rade, il faut que tu saches que rien ne m’arrête, et même que je me sens capable de te porter en plus du sac : Je suis increvable. »

-  « D’accord, mais j’arriverai malgré tout à marcher jusqu’à un distributeur de billets. Après, il faut que je te dise que je suis décidé à prendre le train, si toute fois on trouve un de ces foutus distributeurs. »

-       «  Regardes ! Il y en a un là, mon copain, mais ne comptes pas sur moi pour le train, Tu sais que moi, je marche. »

-       « J’ai l’intention de t’inviter, Jeannot, non seulement pour le train, mais aussi pour une nuit d’hôtel à Grenoble. »

-  « Si tu crois que je vais me faire payer le train et en plus l’hôtel comme une pute, tu ne me connais pas. »

-  « Ecoutes, je ne peux pas continuer à voyager, même en train, avec des pieds dans cet état. Alors j’ai besoin de toi mon pote, il faut que je me soigne. J’ai besoin de faire tremper tout ça dans un bon bain, et pendant ce temps, je compte sur toi pour aller me chercher des médicaments, et me trouver des chaussures plus confortables. »

-  « Si tu as besoin de moi, ça change tout, alors c’est d’accord. »

Quand le train arrive à Grenoble, Borg pense que le mieux, c’est d’aller dans cet hôtel « Ibis » en face de la gare, idéal compte tenu de leur look, bien qu’à Grenoble le style montagnard soit assez standard.

Le réceptionniste de l’hôtel les regarde d’une drôle de façon, mais Borg est indifférent à tout ce qui n’est pas la clef d’une chambre à deux lits qu’il tient dans sa main.

Le plus dur est de retirer les chaussettes collées aux plaies. Quand Jeannot voit ça, il pousse un hurlement horrifié en disant qu’il en a connu dans sa foutue vie, des pieds de toutes les couleurs, mais qu’il n’a jamais vu ça ! Borg le calme en l’envoyant à la pharmacie avec une liste de produits et de l’argent.

-  « Pour les tatanes, ne te casses pas dit Jeannot, je m’y connais, des bons tennis, il n’y a que ça de vrai. »

Borg s’en moque éperdument, il est dans l’eau tiède, béat malgré la brûlure de ses pieds. Puis il pense à la lumière qui a déjà guéri la blessure de sa main, et veut savoir s’il peut la générer  volontairement. Il se concentre et parvient à visualiser la fleur. Puis la projète mentalement dans un de ses pieds, en lui donnant doucement des directives de guérison. La douleur s’estompe, mais les plaies ne changent pas d’apparence. Il passe à l’autre pied pour calmer la douleur. Même résultat. Il continue à « travailler » avec la fleur jusqu’au retour de Jeannot. La douleur a complètement disparu, l’inflammation est enrayée,  mais les plaies sont toujours là. Alors il sort de l’eau, se sèche et continue à se soigner les pieds avec les produits désinfectants et cicatrisants que Jeannot lui a rapporté, et finalement les momifie dans un bandage assez lâche. On verra demain, se dit-il.

Tandis que Jeanot utilise à son tour la salle de bains, Borg appelle la réception pour commander deux repas dans la chambre : Compte tenu de l’état de ses pieds, cela vaut mieux.

Il ne bouge plus de son lit, et c’est Jeannot, tout propre en sous- vêtements longs (encore style cow-boy) qui lui sert son repas. Une fois le repas terminé, Borg se laisserait bien aller au sommeil, mais il sent Jeannot qui commence à remuer sa langue dans sa bouche, en veine de parlotte. C’est vrai qu’il est increvable cet homme !

-  « Maintenant tu pourrais peut-être me raconter ton histoire ? Note bien que si je te demande ça, c’est pas par pure curiosité, mais peut-être que je pourrais t’aider, mon gars ! »

-  « D’accord Jeannot, mais je ne me souviens pas de tout… Cela a commencé quand… »

Borg lui raconte son malheur, la fuite de chez lui, son périple sur la rivière glacée, et la suite, jusqu’à l’instant où ils se sont rencontrés. Mais il ne parle pas de la fleur de lumière, ni du fait qu’il est médecin. Jeannot reste silencieux un moment puis lui dit :

-  « Tu as oublié un tas de trucs parce que tu as disjoncté mon pauvre gars. C’est arrivé à quelqu’un que j’ai connu, seulement, lui c’était pas sur une rivière qu’il vadrouillait le pauvre, c’était dans les nuages. Il marchait sur des nuages roses, et de temps en temps, il y avait des nuages noirs qui surgissaient, comme ça, et qui essayaient de le bouffer. Ils n’y sont pas arrivés, note bien, puisque le gars, il est toujours là. Mais cet abruti est allé raconter son histoire partout, à tout le monde. Ce qui fait que tout le monde l’a pris pour un dingo. Maintenant, ce gars, on ne connaît même plus son vrai nom. Tout le monde l’appelle « Nuage noir »… Remarque, vu qu’il est assez basané, les filles, elles croient que c’est un nom  indien. Et je ne sais pas pourquoi, mais maintenant, les filles, elles préfèrent les indiens que les cow-boys. »

Borg éclate de rire et lui dit :

-  « Cela ne t’arrange pas, hein, cow-boy ? »

-       « Ah ? Tu as remarqué ? Non, ça ne m’arrange pas. Mais pour en revenir à ton histoire, il vaut mieux que tu n’en dises rien à personne, et tu as intérêt à l’oublier toi aussi. Puisque tu te rappelles où tu crèches, et tout le saint-frusquin de ta vie, tu n’as qu’à y retourner et tout reprendre comme si de rien n’était. Voilà ce qu’il en pense le Jeanot. »

-       «  Je suis d’accord avec toi sauf sur un point : je voudrais savoir comment je me suis retrouvé avec des habits qui ne m’appartiennent pas, avec un portefeuille vide et une enveloppe contenant de l’argent. »

-       « Tu as sûrement été assommé par des gars pas trop mauvais qui étaient juste intéressés par ton fric et tes frusques, tu as eu de la chance, quoi. Après, peut-être que des gens t’ont ramassé et  emmené chez eux… Ou alors on t’a peut-être envoyé dans un centre où on s’occupe des cas comme toi. Puisque tu as vu des gens, sur ta rivière, je crois que c’est plutôt dans un centre que tu étais. Tu vois, mon gars, il y a des créatures qui ne pensent qu’à démolir les autres, et des gens qui passent leur vie à essayer de réparer tout ça. Ca fait une moyenne, quoi. »

-  « Peut-être bien, mais j’avais mon portefeuille sur moi, avec mes papiers, ma famille aurait du être prévenue. »

-  « D’abord, c’est pas la première chose qu’ils font dans ces endroits. Ils s’occupent d’abord de te remettre sur la voie. Peut-être bien qu’elle l’a été, prévenue ta famille, mais tu as peut-être foutu le camp avant qu’elle arrive. Toi, tu n’étais pas sur terre, mon copain, tu étais sur ta foutue rivière, et tu as paniqué pour en sortir vite... »

Borg réfléchit. Effectivement, il est parti très vite, mais l’enveloppe ? Alors Jeannot lui explique que parfois, les gens qui récupèrent les pauvres gars comme lui ont pitié et donne un peu d’argent pour les aider  « à refaire surface. » Pour Borg, tout cela reste confus, mais que faire, comme dit Jeannot, sinon faire avec ?

Borg tombe de sommeil et souhaite bonne nuit à Jeannot, qui, malgré ses airs d’homme des bois, ne semble pas mécontent de se retrouver dans un vrai lit. Après quelques soupirs d’aise, le sommeil vient et dure longtemps.

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