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LA RIVIERE GLACEE
10 juin 2007

Il continue son inspection. Il a un visage typé,

Il continue son inspection. Il a un visage typé, Borg lui ressemble, d’ailleurs. Le pâle sang d’aristocrate de sa mère a été totalement effacé par son sang juif. Il se souvient d’une de ses secrétaires, devenue petite amie, et non point grande aventure, qui a dit en parlant de lui:

-  « Quand un juif se met à être beau ! … »

Mérite-t-il encore ce genre d’affirmation? Et puis après tout, qu’est-ce que ça peut faire qu’il soit beau… ou laid comme un pou, à son âge ?… Si, quand même, ça fait quelque chose. Et l’âge ? Il n’a que deux ans de plus que Jeannot qui vit comme un jeune homme, avec une belle jeune femme qui dort dans son lit. En imaginant Marie et Jeannot enlacés, une grande souffrance lui vrille le cœur de se sentir aussi seul. Puis il prend conscience d’une petite réaction dans le bas-ventre. Cela ne lui est pas arrivé depuis si longtemps qu’il en tressaille. Puis il sourit. Ah bon ! La machine n’est pas cassée… Alors ? … Alors on verra. Il faut d’abord retrouver forme humaine, parce qu’il n’oserait jamais montrer «  ÇA »  à une dame, pense-t-il en jetant un dernier regard sur le miroir.

        Il est un peu réticent lorsque son fils lui parle d’un séjour « de remise en forme » chez leurs amis, et s’en explique :

-  « Ils ont leur vie de couple, Borg, leur maison n’est pas grande, je vais les déranger et me sentirai gêné de troubler leur intimité. Tu ne peux pas m’envoyer dans un centre pour maigrir, plutôt ? »

-  « Il est hors de question que tu ailles dans ce genre d’endroit. La gêne n’existe pas dans le cercle de nos amis qui sont devenus notre famille. Puisque tu dois vivre en communauté avec nous, il va falloir t’adapter à nos valeurs. C’est toi qui, en premier, as parlé d’autarcie. Eh bien nous y voilà ! Les problèmes que nous rencontrons dans la vie sont résolus entre nous. Jeannot et Marie sont vraiment heureux de faire quelque chose pour toi. Je comprends que, dans la mesure où tu as été constamment sollicité dans ta vie, il t’est difficile d’inverser la vapeur et de recevoir. Il faut maintenant que tu apprennes à accepter ce qu’on te donne. Et surtout, ne leur proposes pas d’argent ! Laisse toi bichonner en toute simplicité. D’accord ? »

-  « Je ne sais pas… »

-  « Tu ne sais pas quoi ? »

-  « Si je peux me laisser bichonner par une jeune femme comme Marie. Que va en penser Jeannot ? »

Borg sourit et demande avec ironie  :

-  « Tu as peur qu’il ne soit jaloux ? »

-  « Non, pas pour le moment, mais si je redeviens beau ? »

-  « Ah ! Ah ! Ah ! Que me dis-tu là ? Tu n’as jamais cessé d’être beau ! Avec Jeannot, ta bedaine va rapidement disparaître, et ne te fais pas de soucis en ce qui concerne sa jalousie : Ces deux-là sont tellement liés qu’on ne sait plus où commence l’un et où finit l’autre. Apprend à être plus simple, c’est le premier pas vers l’harmonie. »

        David a enfin accepté, mais il n’est pas vraiment convaincu qu’il sera le bienvenu. En fait, il n’a jamais vécu chez personne. Il y a toujours eu une chambre d’hôtel pour l’accueillir quelque part dans le monde. Chez lui, il s’était réservé, pour les rares moments où il y séjournait, une chambre et un bureau qu’il ne quittait que lors des fameuses réceptions mondaines de sa femme.

Il réalise qu’il a toujours été seul. Souvent entouré de relations diverses, mais seul quand même. Et là, soudain, on lui demande de vivre avec des personnes, au milieu de leur vie, dans leur ambiance, de se balader en pyjama avec son gros ventre dans leur maison, de mâchouiller ses repas tous les jours devant eux, enfin tout, quoi. Va-t-il y parvenir ? Borg ne se rend pas compte du bouleversement que cela représente pour lui de vivre avec quelqu’un. Vivre sans sa panoplie d’homme d’affaire, sans se réfugier derrière les murailles de l’argent, dans l’isolement de celui qui est trop envié – et parfois même haï – pour avoir des amis véritables.

Mais ne serait-ce pas vivre, tout simplement, qui l’effraie ? Alors si c’est ça, il va falloir se jeter à l’eau, et sans bouée, parce qu’il sait tout de même ce que vivre veut dire : Prendre des risques, jusqu’à l’extrême.

Il sourit en réalisant que, peu de temps auparavant, il lui était égal de mourir, et que maintenant il a peur de vivre. Quelle ironie !

En songeant à tout cela, il rentre chez lui, bien décidé à partir en vacances – parce qu’il s’agit bien de vacances – en retrouvant les impressions de son enfance : C’est l’aventure, tout peut arriver !

        Il avait tord de se faire du souci pour l’accueil. Borg avait raison : Ces deux-là sont vraiment contents de le recevoir, et cela l’étonne profondément, car il n’en voit pas la raison. Il n’a jamais pensé avoir une quelconque importance dans le cœur des gens. Il ne sait pas trop quoi dire au début et reste silencieux, mais Jeannot parle suffisamment pour deux. Voilà bien une heure qu’il lui explique de quelle manière ils vont « se remuer » les jours suivants, et David répond en hochant de la tête, toujours de bas en haut, pour montrer sa bonne volonté. Jeannot est mal à l’aise avec les personnes réservées, car il croit toujours que l’autre « fait la gueule. » Alors il demande d’un air suspicieux :

-  « Ça vous ira comme ça, Monsieur Bernheim ? »

David hoche la tête encore une fois en souriant : Il est d’accord pour tout. C’est pourquoi il est étonné quand Jeannot devient tout rouge, et hausse le ton pour lui dire :

-  « Milles sabords ! Si ça ne te plait pas ce que je te propose, il suffit de dire oui…ou non…ou même merde ! Mais dis quelque chose, non de non ! »

David se met à rire de bon cœur et répond :

-  « Puisqu’il faut parler, je dirais qu’il est grand temps que nous appelions par nos prénoms, et que nous laissions tomber le  « vous » pour le « tu. » Ceci dit, Jeannot, tu dois être patient avec moi, car j’arrive littéralement d’une autre planète, et il me faut un petit moment… d’adaptation. Je suis décidé à suivre toutes tes directives. Je ne dis rien, parce que je me sens bien, sur ce canapé à t’écouter, avec la tête de Diva sur mes genoux. Très bien, même. »

-  « Excuses-moi, David, je ne voulais pas te manquer de respect, mais je suis un peu… vif, parfois… et même souvent. »

-  « C’est parfait comme ça. N’hésites pas à me dire ce que tu penses : c’est la meilleure façon de communiquer entre amis. »

CHAPITRE 2

        Le départ pour la prospection se fera dans un mois: Le temps nécessaire à Borg pour une recherche dans les journaux, et un premier contact téléphonique avec des agences et quelques notaires dans différents endroits de France. Le projet est structuré, organisé, évalué, terminé.

Il a mis sa maison de Normandie en vente, après expertise des travaux. Ce n’est certainement pas lui qui s’en chargera ! Il n’a même pas voulu la revoir. Ce sont les Sylvère qui s’occupent de tout. Sa voiture retrouvée dans un état lamentable subit le même traitement : Elle est mise en vente dans l’état. Borg est maintenant plus disponible pour s’occuper des siens.

Il a demandé à Jeannot et Marie s’ils veulent bien accueillir son père jusqu’au départ, afin de le remettre en forme – Marie pour le faire bénéficier de sa fameuse cuisine diététique, et Jeannot pour le faire bouger un peu – Ils disent que oui, bien sûr, ça serait chouette de le connaître davantage, et Jeannot ajoute que « pour le faire bouger, c’est pas un problème, vu qu’il reste un bon bout de vallée à nettoyer, et une mocheté de cheval qui ne pense qu’à galoper depuis que son maître lui fait des infidélités avec un bout de chou. »

Il reste à convaincre David.

        David se regarde dans la glace. C’est la première fois depuis fort longtemps qu’il se regarde vraiment, en entier, et tout nu.

Hélas ! Ce qu’on voit en premier, c’est le ventre. Mais il sait comment le perdre. Le flasque des cuisses et des avant-bras aussi : régime, sport.

Son fils lui a fait un beau cadeau : la santé. David était persuadé d’avoir le cœur fichu. Il ne s’est même pas donné la peine d’aller voir un docteur, parce qu’à dire vrai, ça lui était égal, de vivre ou de mourir… La grande indifférence de ceux qui n’attendent plus rien de la vie.

Mais Borg a constaté une simple arythmie, due sans doute à l’excès de graisse, et favorisée par le stress du travail. Rien de bien méchant. Pour quelqu’un qui s’était fait une raison de mourir bientôt – mais pas sans avoir bien vécu ses derniers moments – cette découverte explose dans sa tête comme un feu d’artifice. Il va vivre… longtemps… et si possible intensément.

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