Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LA RIVIERE GLACEE
10 juin 2007

Lorsqu’ils arrivent en haut, ils descendent de

Lorsqu’ils arrivent en haut, ils descendent de cheval et restent silencieux. Borg sent sa gorge se nouer. Tout ce qui faisait leur vie a disparu. Hormis quelques toits et les grands arbres, il n’y a que de l’eau. Il essaie de repérer l’endroit où doit être sa maison, mais il n’a plus aucun repère.

Et il imagine avec horreur le supplice des personnes et des animaux qui sont restés en bas pour y attendre une mort terrible. Jeannot capte son émotion. C’est la première fois qu’il voit des larmes dans les yeux de son ami. Ça lui fait si mal, qu’il se met lui aussi à pleurer. Ils se regardent, et tombent dans les bras l’un de l’autre, sanglotant comme des enfants.

-  «  Ah ! Bon dieu d’ bois ! Dit Jeannot qui se ressaisit le premier, ne me refais jamais ce coup là, tu vas me faire vieillir avant l’âge. »

Beauty s’est avancé et pose ses naseaux sur son épaule.

-  «  Regardes, Borg, il vient me consoler. »

-  «  C’est que… snif… je pensais justement aux pauvres chevaux qui sont restés en bas… snif… et aussi aux gens. »

-  «  Tu n’y es pour rien, tu as fait tout ce que tu pouvais, et tu en as sauvé plein d’autres, de chevaux… Regardes, cette mocheté, qui te reluque avec des yeux de crapaud mort d’amour, il a l’air de savoir qu’il te doit deux fois la vie. Allez viens, on rentre à la maison, il n’y a rien d’autre à faire. »

Ils remontent en selle, et quelque temps plus tard, Jeannot se retourne sur sa selle et lui dit :

-  «  Il est inutile de raconter ça aux femmes, c’est des histoires entre nous deux. D’accord ? »

-  «  C’est évident. »

De retour chez Marie, Borg descend de cheval, et Jeannot s’apprête à l’emmener au hangar, quand son ami lui dit :

-  «  Ne le ramènes pas, je le garde. »

-  «  Comment ça tu le gardes ? Tu m’as dit toi-même que c’est un potache ! Il est moche comme un cul de singe. »

-  «  Ça m’est égal, je le garde quand même. Je m’arrangerai pour trouver le propriétaire, et je lui en donnerai le prix qu’il en veut, mais à partir de maintenant, c’est mon cheval. »

-  «  Et tu vas le mettre où ton cheval ? Parce qu’avec Beauty, c’est pas possible. »

-  «  Tu connais quelqu’un qui pourrait me le garder, en payant ? »

-  «  Ça se pourrait, je vais appeler le gars qui s’occupe des bêtes, le Père Campoin. Ça a l’air d’un bon bougre, finalement. »

Le « bon bougre » est d’accord, et Jeannot en profite pour le remercier d’avoir pris soin des bêtes. L’autre dit que c’est normal de s’entraider dans des cas pareils. La conversation se prolonge sur un ton chaleureux. Jeannot lui demande s’il sait où est le Maire, et le gars répond :

-  «  Tous les Maires du coin, sauf ceux qui y sont restés, sont réunis dans la mairie de ***. Ils ont établi un Q.G. en relation avec les unités d’intervention. Ils y seront plusieurs jours, avec les plans des communes. »

Jeannot se sent très bête. Il réalise que Borg a raison. Il a dégoisé méchamment sur ce pauvre homme, alors qu’il campe dans une mairie, séparé de sa famille, dans le seul but d’aider les autres. Il a pris de haut les gens d’ici, alors qu’il découvre dans le Père Campoin,  un brave gars qui pourrait devenir un pote. Il se sent sale. Il n’est pas mieux que tous les pourris qu’il critique.

Borg voit son ami silencieux, ce qui est chez lui signe de perturbation. Il ressent son trouble et le comprend. Il lui dit :

-  «  Remets-toi, Jeannot. Cette manière de penser est assez courante. Ce qui est important, c’est que tu en aies pris conscience. Laisse tout ça dans le passé, et repart sur de nouvelles bases. On n’en parle plus. »

Borg décide de se rendre demain avec Jeannot à *** (à cheval, bien entendu), rejoindre l’assemblée des Maires, et proposer ses services de médecin. Mais Marie proteste : Elles en ont assez de toujours rester enfermées à s’occuper de tout, en attendant leurs « seigneurs et maîtres. »

-  «  Nous ne sommes pas dans un harem! » Dit-elle.

Borg lui explique que ce sont les circonstances qui font que leur attitude masculine manque de courtoisie, mais qu’il n’envisage pas d’autre possibilité, vu le contexte actuel. Béryl sourit dans son coin.  Pour elle, ça n’est pas un problème. Elle comprend la situation et l’accepte de bon cœur. Mais Marie est si passionnée ! Alors elle la prend par la taille, l’embrasse et lui dit à l’oreille :

-  «  Moi, je suis heureuse que tu restes là, car je ne peux me permettre de m’investir en risquant la vie de mon enfant. Et je me sentirais bien seule, sans toi. »

Ce qui a l’effet de  faire  fondre Marie, et de lui ôter toute idée de rébellion.

        Le lendemain matin, nos deux compères se préparent donc – ainsi que leurs chevaux – à se rendre à ***. Le choix de l’itinéraire entraîne des palabres sans fin : Ils ressemblent tous les deux à des coqs furieux, et les filles sont écroulées de rire.

Ces rires les vexant profondément, ils décident de se mettre  d’accord (en apparence) sur le parcours proposé par Béryl, qui connaît la région mieux que quiconque.

Marie demande à Jeannot de se renseigner au sujet du déblaiement des routes, car les réserves de nourriture s’amenuisent. Il serait temps de faire des courses. Et les voilà partis.

Il ne pleut plus mais le ciel reste gris. Sur le plateau, ils avancent dans un paysage de fin du monde. Cela rappelle à Borg l’ouragan de 2000, en pire. L’eau a complètement raviné et creusé les champs. La boue est partout, et il est difficile de repérer les routes. Les torrents d’eau ont emporté des arbres qui ont formé des barrages sur les routes qui descendent vers la vallée. En fait, il n’y a plus de routes.

Publicité
Publicité
Commentaires
LA RIVIERE GLACEE
Publicité
Albums Photos
Derniers commentaires
Publicité