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LA RIVIERE GLACEE
10 juin 2007

Le lendemain, Borg se réveille avec l’impression

        Le lendemain, Borg se réveille avec l’impression que c’est le premier jour du monde. Il se lève en chantant, se lave en chantant, puis se dit soudain qu’il a oublié de sortir la poubelle hier soir. Décidément, il aura toujours des problèmes avec cette foutue poubelle. Il n’est pas encore habitué à ce rite : La poubelle pour les déchets propres (si l’on peut dire), qu’on doit sortir tel jour toutes les deux semaines. Celle pour les déchets sales qu’il faut sortir tel jour toutes les semaines, sauf les semaines comprenant un jour férié, où il faut la sortir un jour plus tard. Il s’y perd, si bien que les sacs poubelle commencent à s’entasser dans le garage, et que cela commence à sentir bizarrement.

Il est prévu qu’un couple doit venir s’occuper du jardin et de la maison le mois prochain. En attendant, il s’occupe de l’intendance, et tout va de travers.

On verra ça demain, se dit-il, comme tous ceux qui sont dépassés par les évènements. Aujourd’hui, il veut rencontrer Jeannot, et il est bien décidé à l’arracher sans pitié à sa bien-aimée pour lui parler de Béryl.

        Jeannot arrive en fin d’après-midi, un peu honteux d’avoir abandonné son petit gars aussi longtemps.

-  «  Tu comprends, mon gars, c’était notre lune de miel, en quelque sorte. »

-  «  Tu n’as pas d’excuses à me faire, Jeannot. Il ne faut pas que l’amitié soit faite de contraintes. Mais là, j’ai quelque chose d’important à te dire… »

-  «  Tu te maries la Béryl ? »

-  «  Comment le sais-tu ? »

-  «  Moi, je n’ai pas de dons particuliers, mais je sais voir, tout de même. Ça n’était pas si compliqué à deviner, vu les regards qu’elle te lançait ! »

-  «  Je ne l’avais pas remarqué. »

-  «  Tu es bien le seul, mon gars. Ceci dit, tu as fait un bon choix. Sais-tu que Béryl est ma filleule ? »

-  «  Non, je sais seulement qu’elle est ta petite-fille. »

-  «  Ah ça ! On n’en parle pas, surtout maintenant que je vais avoir une femme plus jeune que moi ! »

-  « Comment ?  Toi aussi, Jeannot ? Tu te maries ? »

-  «  Tu me vexes en ayant l’air aussi surpris. Je ne suis pas si vieux que ça, tout de même. »

-  «  Je n’ai pas dit cela, mon Jeannot, je te sais même encore capable de nous faire un petit gars tout neuf. Un petit gars à toi comme tu disais. »

-  «  Ça, il ne faut pas y compter. »

-  «  A soixante-deux ans, c’est encore possible, regardes Charlie Chaplin… »

-  « Je ne parlais pas de moi, mon copain, c’est Marie qui ne peut plus. Tu sais, si elle a attendu aussi longtemps pour… enfin, pour se décider, c’est qu’il lui est arrivé un sacré truc.

Quand elle était jeune, elle s’est fait attaquer par un fêlé de la pire espèce. Il ne s’est pas contenté de la cogner à mort et de la violer, l’ordure. Il lui a démoli tout son saint-frusquin de bonne femme. Si bien qu’elle ne peut plus avoir d’enfant.

Et ça n’est pas tout : Ils ne l’ont jamais trouvé, les flics. Ce qui fait que ce taré se ballade encore dans la nature. Et Marie, elle se demande toujours quand elle rencontre un homme, si ce n’est pas lui qui lui a fait ça, puisqu’elle ne l’a pas vu : Il lui avait mis un truc sur la tête. Je l’ai rassurée en lui disant que ça faisait si longtemps maintenant, que sa charogne devait en train de pourrir dans un coin. Elle aussi s’est baladée un moment sur ta rivière de merde.

Pour moi, elle a dit que ça a été différent. Il faut dire que les circonstances de notre rencontre ont été un peu particulières. Mais ça n’a pas d’importance si on n’a pas de môme. On n’est plus tout jeunes, et moi j’ai déjà mes deux gars. »

-  «  Je suis certain qu’avec toi, elle va vite oublier cela : Tu disais que tu n’as pas de dons particuliers, Jeannot, mais tu te trompes : Tu as le don de rendre les gens heureux. Et c’est la chose la plus importante au monde. »

-  «  C’est gentil ce que tu me dis là. Finalement, la pêche est bonne dans le Vercors, même si l’eau est rare. »

-  «  Alors, Jeannot, l’aventu-ure, c’est treminé-é-é-é. »

-  «  Tu plaisantes ? Marie, elle est tout à fait décidée à partir avec moi. Elle dit que ça va lui donner des idées pour son travail. »

-  «  Alors tu ne veux plus travailler avec moi ? »

-  «  Bien sûr que si, mais il n’y a pas de congés payés, dans ta galère ? »

        Borg a ouvert son cabinet médical à la date prévue : le 1er mai, jour du printemps. Jeannot est là, ponctuel et superbe dans son costume de soie noire et chemise blanche, avec un « chou-chou » assorti. Il a absolument refusé de se couper les cheveux, malgré la discrète suggestion de Borg. Il est certain que Borg a là un secrétaire hors du commun. Pendant neuf jours, ils ne virent pas une seule personne franchir le seuil de ce splendide – et inutile – cabinet.

Paulo l’a prévenu que ça serait difficile au début, car il est un « étranger. » Borg proteste qu’il est bien français, et Paulo lui explique que les gens d’ici considèrent comme étranger celui qui habite le village voisin. Alors un Parisien, et à moitié Juif, en plus…

Si bien que Borg et Jeannot passent leur temps à parler de choses et d’autres comme dans le passé. Jeannot lui fait remarquer un jour :

-  «  Que fabriques-tu avec toutes ces petites fiches en carton ? Tu ne peux pas t’acheter un ordinateur, comme tout le monde ? »

-  «  Pourquoi ? Tu t’y connais en ordinateur ? »

-  « Ça se pourrait. »

-  « Peut-être, mais moi je préfère écrire à la main, je pense mieux avec un crayon qu’avec un clavier. »

-  «  Tu n’es pas comme Marie. Elle, c’est devant son écran qu’elle trouve l’inspiration. »

-       « Ah ! C’est Marie qui t’a refilé le virus de l’informatique ? »

-       «  Ne parles pas de virus quand il s’agit d’ordinateur ! Tu vas nous porter la poisse. Gardes tes virus pour tes patients ! »

-  «  C’est gentil pour eux. » Dit Borg en riant.

Le dixième jour, Une dame d’un certain âge gare sa voiture sur le parking et entre dans le bureau de Jeannot. Elle un énorme bandage sur le bras.

-  «  Bonjour Docteur, je suis Madame Lurion… Je n’ai pas rendez-vous, mais je viens de m’ouvrir le bras… Est-ce que vous pourriez me recevoir quand même ?

-  «  Je vais m’en informer, auprès du docteur Madame, car je ne suis que son secrétaire. En attendant, vous pouvez vous installer dans le salon, sur votre droite. »

Borg a installé un superbe salon Louis XIII pour recevoir ses patients, parce que, dit-il, c’est le style qui s’allie le mieux avec le normand. Madame Lurion en est ébaudie. La tendance de la région est de faire attendre les gens dans un couloir sombre ou un appendice exigu.

Madame Lurion est reçue, soignée (avec l’aide de la fleur de lumière), pansée, consolée, rassurée. Le lendemain, sa blessure est pratiquement cicatrisée. Comme elle a de nombreux amis dans la vallée, elle parle beaucoup de ce « charmant jeune médecin si compétent. »

C’est ainsi que se font les réputations: Par ce fameux « bouche-à-oreille » plus efficace qu’une vaste propagande de publicité.

Un mois plus tard, le carnet de rendez-vous est rempli  et les deux amis travaillent très tard.

        Borg n’a pas cédé à Béryl en ce qui concerne sa curiosité du « plan physique. » Il lui explique qu’il ne veut pas trahir la confiance de ses parents qui les laissent libres de se rencontrer quand ils le souhaitent. Elle en a convenu. Mais les baisers qu’ils échangent deviennent de jour en jour plus passionnés. Il a du mal à s’endormir le soir malgré tout le travail qu’il assume dans la journée.

Il se souvient de la nuit où Jeannot lui a parlé de ses problèmes d’érections incontrôlées. Il sourit, il en est là lui aussi. Alors il décide de prendre les mêmes calmants.

Le divorce doit être prononcé courant juillet. Il a harcelé son avocat pour « faire avancer les choses. »

Borg et Jeannot ont décidé de se marier le même jour. Au début du mois d’août. Cette date arrange tout le monde puisque Bert et les jumelles seront en vacances, et que le commerce de Line sera fermé presque tout le mois.

La fête aura lieu chez Borg. Il a insisté, et a du lutter fermement pour que Line ne prenne pas tout le travail à sa charge comme elle le souhaitait.

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