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LA RIVIERE GLACEE
10 juin 2007

A Paris, Jeannot ne chôme pas. Il a mis les deux

    A Paris, Jeannot ne chôme pas. Il a mis les deux appartements en vente dans une agence, et contacté un antiquaire pour les tous les meubles, sauf le Chippendale lui a dit Borg. Il a d’abord dressé une liste de tout ce qui doit se vendre, puis a passé trois jours à traînailler un peu partout pour voir les prix pratiqués. Quand la discussion a lieu, il est prêt. Il comprend vite que ce « vautour veut l’arnaquer », mais il se sent capable de le contrer. L’accord est justement établi après plus d’une heure de marchandage. C’est Borg qui va être content ce soir quand il va rentrer. Non de non, que ça donne soif ce genre de truc ! Je vais boire juste un petit coup pour arroser ça.

Il s’installe près du bar, met de la musique et boit… et pense à Marie qui ne veut pas encore…. et reboit… et il pense que si elle veut enfin de lui, il faudra qu’il trouve du boulot là-bas… et que s’il n’en trouve pas… et glou et glou et glou…

Quand Borg entre dans l’appartement sombre, il pense tout d’abord que Jeannot est absent. Puis lorsqu’il allume la lumière, et qu’il le voit allongé sur le tapis sans bouger, une peur terrible le submerge et il se précipite pour le secourir. Mais il comprend vite. Le bar est ouvert, cela sent le cognac à plein nez. Jeannot est ivre mort.

Borg est tellement soulagé de constater le moindre alors qu’il s’attendait au pire, qu’il se met à sourire en disant tout haut que son copain n’est qu’un vieux cochon d’ivrogne de… (censure.) Il évacue son restant de peur en le traitant de tous les noms d’oiseaux qu’il connaît, puis se dit qu’il ne peut pas le laisser là. Il retire sa veste, retrousse ses manches et le prend sous les bras pour le tirer vers sa chambre.

Le chemin est laborieux, il est lourd, l’animal ! Pour le hisser sur le lit, c’est une autre histoire. Borg s’y reprend à plusieurs fois sans succès.

Le Jeannot émet quelques borborygmes de temps en temps mais reste toujours inconscient. Alors Borg emploie les grands moyens. Il se met sur le lit, et hisse la bête qui s’étale en plein travers, mais enfin dessus !

L’estomac de Jeannot, rempli à ras bord de cognac proteste contre le remue-ménage qu’on lui fait subir depuis un moment, et rejette de grandes giclées de vomis qui retombent un peu partout. Borg en est entièrement éclaboussé. Ah le salopiau ! Et ça pue !

Borg se déshabille entièrement dans la salle de bains et laisse couler la douche longtemps sur lui. Puis il se sèche et va chercher un sac plastique dans lequel il enfourne tous ses vêtements salis. « Poubelle ! » Dit-il.

Mais il ne peut pas laisser son ami toute la nuit dans ses vomissures. Alors il se munit d’éponges, de serviettes, de cuvettes et de déodorant. Il déshabille complètement Jeannot et lui fait un grand nettoyage. Comme le lit est irrémédiablement pollué, il redescend Jeannot sur la carpette, sans aucune délicatesse. Puis il lui met un oreiller propre sous la tête, une couverture sur le tout et l’asperge de déodorant. Puis il récupère la literie souillée, la met également dans un grand sac, ferme la porte, et va se coucher sans manger, épuisé.

        Jeannot se réveille tard le lendemain, avec un mal de tête à peine supportable. Sa langue a doublé de volume dans sa bouche et râpe autant que celle d’une vache. Il se demande ce qu’il fait à poil sur la carpette, quand il aperçoit le lit en grand chambardement.

Il comprend enfin. Une énorme vague de honte brûlante le submerge. Il se recroqueville complètement sous la couverture en espérant que le tapis va l’engloutir. Devenir tapis, qu’on lui marche dessus, qu’on l’écrase, qu’on s’essuie les pieds, qu’on lui crache dessus, et que tous les matous de la création viennent y déposer leurs immondes déjections. Il n’est plus qu’un tas de merde infâme. Avoir fait ça à son petit gars ! Il pense sérieusement à se jeter par la fenêtre ou bien à se pendre au lustre, quand il entend chanter dans l’appartement :

-  «  L’aventu-ure, c’est l’aventu-u-ure, elle est pareille à tsoin-tsoin, elle est en moi pour tsoin-tsoin…Oui pour tsoin-tsoin…oin. »

Il n’a pas l’air fâché, le gars, mais moi, comment je fais comment pour le regarder dans les yeux ? Non décidément, il vaut mieux la fenêtre ou le lustre.

C’est à ce moment de grande décision que la porte s’entrouvre et que Borg lui lance :

-  «  Alors, pochard, elle est comment, la langue de veau ce matin ? »

-  «  Ah ! Ne parles pas de choses comme ça, et ne cries pas aussi fort ! »

-  «  Lèves toi et marches, lui dit Borg – en hommage à un écrivain qui a enchanté ses « jeunes années » – Du café fort t’attend, amènes ton auguste derrière. Voilà de quoi vêtir ta somptueuse nudité. » Et il lui jette un peignoir d’éponge.

Arrivé dans la cuisine, Jeannot voit sur la table deux cachets à côté d’un verre d’eau et un grand bol de café très noir. Il avale tout sans rien dire, les yeux baissés.

Il s’apprête à faire de basses excuses, quand Borg lui dit :

-  «  On n’en parle plus, l’important, c’est que ce soit moi qui t’aie trouvé ainsi, et non Marie. »

Depuis ce jour, Jeannot n’a plus jamais dépassé les limites du tolérable.

        Les jours passent vite, entre la préparation de l’installation de Borg en Normandie, et les va et vient que leur imposent leurs affections. Noël arrive enfin, qui les réunit tous chez Paulo.

Borg n’a jamais connu cette effervescence des veilles de fêtes. Chez ses parents, seul le nouvel an était – froidement – fêté. Puisque son père et sa mère ont gardé (en apparence) chacun leurs religions respectives, Borg a navigué tièdement entre les deux ports sans jamais y accoster vraiment. Son ex-femme étant athée, Noël était effacé au bénéfice du Jour de l’An, qui se terminait souvent en beuverie avec des amis. Rien de mystique dans tout cela !

Mais dans sa nouvelle famille, chacun doit prévoir un cadeau pour chacun, et cela dans le plus grand secret. Jeannot se rend compte que son ami est dépassé par ces coutumes qu’il n’a jamais connues. Alors il intervient avec une délicatesse inusitée chez lui, pour le conseiller, lui expliquer. En fait Jeannot est en train de donner des leçons de « famille » à son petit gars.

En ce qui concerne la participation au réveillon, il lui demande ce qu’il envisage. Lui a donné la dinde, Marie apporte le champagne. Alors ?

-  «  Peut-être le vin ? Dit Borg, il y en a plein la cave… »

Jeannot lui dit que c’est une très bonne idée, et qu’on va aller voir tout de suite. Borg prend les clefs et descend avec son ami dans le sombre labyrinthe des caves de l’immeuble. Jeannot s’aperçoit que la plus part des portes sont blindées. Cela l’étonne considérablement et il demande à son ami :

-  «  Ils ont peur qu’on leur pique leurs vieilleries, les bourgeois ? »

-  «  C’est pour le vin. »

Jeannot est sidéré qu’on mette du pinard dans des coffres-forts. Mais quand Borg ouvre la porte (blindée) de sa cave et qu’il commence à en faire l’inventaire, il comprend et dit :

-  «  Si tu apportes des trucs de ce genre à Paulo, tu t’en fais un esclave à vie, mon pote. »

Le lendemain, ils chargent le coffre de la voiture des caisses de vin, des nombreux cadeaux et de leurs sacs. Borg restant dormir avec Jeannot pour la courte nuit qui suit le réveillon. Il est étonné d’être aussi excité, il a l’impression de redevenir un enfant. Un autre enfant qui sommeillait en lui. Celui qui attend le père  Noël d’un cœur battant,  qui regarde le petit Jésus dans la crèche en espérant lui ressembler. Borg renaît, il a six ans et attend tout de cette nuit qui vient. Alors ils se laissent glisser dans le flot immense des voitures.

        En Normandie, l’excitation est la même. On décore le sapin, on installe la crèche, on chante, on cuisine, on se demande quelles surprises seront dans le sapin à minuit. On attend ceux qu’on aime avec impatience, mais on a peur qu’ils n’arrivent avant que tout soit terminé. Enfin, quand tout est prêt, la voiture est là, avec les deux tontons, et Marie qui suit de près.

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