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LA RIVIERE GLACEE
10 juin 2007

Borg est désolé pour Jeannot, il a compris son

        Borg est désolé pour Jeannot, il a compris son dilemme, et l’admire pour sa décision de revenir avec lui. Cet homme simple a toutes les qualités d’un « grand homme » tel que Borg le conçoit : le courage tranquille, la générosité, la tolérance, le respect des engagements, et enfin cet humour ineffable qui a transformé sa vie en une fête perpétuelle. Borg a l’impression que tout son être se dilate d’une joie profonde. La vérité est là, il la tient enfin cette vérité si recherchée. Line a raison. Il faut « se laisser aller à l’amour » : Car sans amour, qu’est-ce que vivre veut dire ?

Une idée soudaine lui traverse l’esprit : S’il allait vivre là-bas dans cette vallée où sont tous ceux qu’il aime. Alors, dans le silence morose du retour, Borg dit :

-  « Jeannot, je vais m’installer là-bas. »

-  « C’est Béryl qui t’a mis cette idée en tête ? »

Borg est très étonné, il s’attendait à toutes sortes de réactions, sauf à celle-là. Il affirme à son ami qu’il ne songeait pas du tout à Béryl quand il a pris cette décision, et Jeannot veut bien le croire. N’empêche que…

Borg pense à Béryl. C’est une personne intemporelle qu’on a du mal à situer. Il n’arrive pas à déterminer les sentiments qu’elle lui inspire. Ses dons extraordinaires l’ont mûrie très vite, trop vite. Cette jeune fille de dix-neuf ans possède déjà la sagesse d’un vieux crocodile. D’autre part, elle paraît très ignorante des réalités de la vie. Mais elle a tout de même dix-neuf ans.

-  « Tu dérailles, elle est beaucoup trop jeune pour moi. C’est encore une enfant. »

-  « Ah ? Pour reprendre une ancienne discussion à ce sujet : dix-neuf ôté de trente-quatre, font quinze. Moi et Marie : quarante ôté de soixante-deux, font vingt-deux. Tu vois, c’est moi qui bats le record. »

-  « A dire vrai, Jeannot, je pensais simplement que tes attaches sont là-bas, les anciennes comme les nouvelles. Ma véritable famille est donc aussi dans cette vallée. Que ferai-je d’autre si je reste à paris sinon me languir de vous et me morfondre dans une solitude qui n’a pas raison d’être ?  Plus rien ne me retient ici.

Ma décision est prise, il va falloir que tu t’occupes de tout ça avec mon comptable. Transfert des comptes, vente des meubles, de l’appartement, du cabinet, et tout ce qui s’en suit, pendant que je m’occupe de trouver une maison. »

        Le lendemain matin, Borg se rend au tribunal d’instance, sur la demande du juge pour la « conciliation. » Simple formalité qui permet à un couple d’être certain de son désir de séparation. Il en est certain. Elle aussi. Il la voit, telle qu’elle est devenue, hautaine, dure. Il ressent tout de même un certain sentiment de culpabilité. S’il ne l’avait pas rencontrée, peut-être que…. Il se souvient alors d’une réflexion de Béryl : « Nous avons tous le choix entre le bien et le mal. » Elle a choisi. Lui aussi. Leurs destins se séparent comme s’en vont les navires vers des ports différents. Borg dit adieu à celle qui fut sa femme, et il ne la revit jamais plus.

        Il va s’installer quelques jours dans la vallée de l’Eure  afin de trouver une maison qui lui convienne. Il prend une chambre dans un hôtel de Pacy et commence à prospecter chez les notaires et dans les agences. On lui fait visiter tellement de maisons dans la journée que le soir, il a l’impression d’avoir fait le tour du monde. Il a fallu trois jours pour trouver l’idéal : un parc avec une grande maison tout au bout, cachée par des arbres immenses, et une plus petite près du portail qui sera parfaite pour y installer son cabinet. L’ensemble est  en pierre, avec de belles proportions et en parfait état. Il y a juste les peintures à refaire. Il y a même une vaste cour où ses patients pourront se garer. Le rêve ! Il pourra emménager en début d’année. Il ne lui reste plus qu’à trouver de nouveaux meubles qui s’harmonisent avec la maison. Il a pris quelques photos qu’il lui tarde de montrer à Jeanot. Il rentre donc tout de suite à Paris.

        Pendant ce temps, Béryl et sa mère s’occupent de leurs clients. Autant Line adore le contact avec les personnes de son village, autant Béryl déteste cela. Non pas les gens, bien sûr, mais le fait d’être toujours obligée de se contrôler, de faire attention que « cela » ne se voit pas. Elle sait que cette continuelle discipline a détruit tout ce qu’il y avait de naturel en elle : sa gaîté, son humour, sa passion de communiquer avec les autres. Elle est devenue silencieuse, et distante. Alors forcément, et c’est normal, elle n’est plus appréciée, les gens l’évitent et la trouvent dédaigneuse. Béryl se sent seule, d’une solitude si profonde qu’elle en a parfois le vertige. Elle souffre, et elle sait que cette souffrance durera aussi longtemps que sa solitude : Jusqu’à la mort.

Elle a envié Marie et Jeannot, l’autre jour, elle aussi a vu leurs deux lumières devenir une. C’est cela, la fin de la solitude : trouver une lumière qui se mêle à la sienne. Ce bonheur lui paraît impossible : Un homme peut-il aimer une sorcière géante comme elle ? Même sa mère ne peut vraiment comprendre son calvaire, et elle ne lui en parle pas. Line est à l’aise avec ses dons, qu’elle utilise pour aider les malheureux, sans se poser de questions métaphysiques. Sa spiritualité ne déborde pas de son être, sauf par un certain rayonnement de grâce qui la rend plus charmante.

La seule et première personne qui ait ressenti la puissance qui l’habite est Borg. Elle entendait ses pensées, c’est cela qui la faisait rougir. Elle essayait désespérément de ne plus les recevoir, mais elles s’imposaient avec tant de force que c’était impossible. C’est un homme délicat et sensible – trop sensible, sans barrières mentales pour se protéger, et donc terriblement vulnérable. Elle a vu une tristesse infinie au fond des yeux, qui s’efface parfois sous le rire. Car c’est quelqu’un qui sait être gai parfois, malgré cette tristesse latente qui cache un grand sentiment de solitude.

Il s’imagine que sa solitude va disparaître quand il sera ici. Il croit que l’amitié de sa famille va combler ce vide immense. Il n’a pas encore compris. Il ne s’est pas compris lui-même. Il faut que Béryl l’aide. Elle ne peut pas le laisser se perdre tout seul dans le noir.

CHAPITRE 6

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