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LA RIVIERE GLACEE
10 juin 2007

A l’époque, je venais de terminer mes études et

A l’époque, je venais de terminer mes études et je n’avais pas encore ouvert mon cabinet : je faisais des remplacements, et comme je n’avais pas encore perçu tous ces héritages, je vivais sans problèmes avec mes modestes revenus. Je ne voulais plus rien demander à mes parents.

Tout a commencé à se compliquer quand on a voulu organiser le mariage. Surtout avec ma mère que tu connais. Ses parents à elle sont de modestes petits fonctionnaires. Ils ont élevé trois enfants, un peu comme ton copain Paulo, en quelque sorte. Moi, je les aimais beaucoup, ils m’ont accueilli avec la plus grande gentillesse. Tu te rends compte qu’ils ont même proposé de m’aider à ouvrir mon cabinet.

J’ai compris alors qu’il serait temps que j’explique à Françoise mon contexte familial. Mais je pensais que, belle comme était, pourvue de gentillesse, de générosité, elle serait bien acceptée chez moi. C’était sans compter sur ma mère. Elle a commencé à démolir froidement un à un tous les arguments que j’avançais. J’ai tenu bon, et après ce que je lui ai balancé en pleine face, elle n’a plus rien dit.

Je ne te raconterai pas la journée du mariage…. »

-  « Excuses moi, mon gars, je t’interromps, mais qu’est-ce que tu as balancé à ta mère qui ait pu la calmer ? »

-  « Figures toi qu’elle aussi elle s’est « mésalliée. » C’est sa famille qui a hurlé au scandale quand elle leur a annoncé qu’elle allait épouser un juif ! »

-  « Pourquoi ? Ils puent les juifs ? »

-  « Non mon Jeannot, mais c’est mal vu dans les grandes familles. »

-  « Ah bon ? Moi je croyais qu’il n’y avait que les nazis qui n’aimaient pas les juifs. En tout cas maintenant je sais pourquoi tu as ces yeux là. Mais pour en revenir à ta mère, elle l’a quand même épousé son juif ? »

-  « Eh bien oui, quand les parents de ma mère ont connu le montant de sa fortune, ils ont décidé que, finalement, pourquoi pas un juif. Donc, pour en revenir à mon histoire, je passe sur la journée du mariage. L’horreur.

Françoise et moi, nous nous sommes installés dans un petit appartement du 15ème. Je faisais toujours mes remplacements, et quand nous nous retrouvions le soir, c’était toujours la merveille. Puis j’ai eu ces héritages qui m’ont permis d’ouvrir mon cabinet sans rien demander à personne.

Ensuite, nous avons acheté cet appartement. Françoise m’a appris que ma mère venait la voir de temps en temps. Au début, j’en étais plutôt content, je me disais que comme cela, elle commencerait à être acceptée dans la famille qui l’ignorait ostensiblement. Mais petit à petit, je me suis aperçu que Françoise changeait. En fait, je pense que ma mère  a organisé un lent travail de sape. Françoise s’est mise à avoir des complexes de ses origines. Elle ne voyait plus sa famille par exemple, puis elle s’est mise à avoir l’accent du 16ème, tu sais, ce fameux accent des snobs. Alors ma mère l’a prise sous son aile et l’a introduite dans son milieu, et à partir de là, ça a été l’escalade. Un jour, je n’ai plus reconnu la jeune fille que j’avais épousée. Je n’ai rien dit, c’est un tort, car à ce moment là, nous aurions pu peut-être encore nous comprendre. Mais je me suis réfugié dans le travail. Si encore je l’avais bien fait ce travail, ça pourrait être une excuse, mais non, en fait, je ne vivais pas, j’existais simplement. »

-  « Finalement, ça t’a réussi, ce plongeon dans ta rivière glacée. »

-  « Je le pense. »

a

        Les jours passent vite, Borg eut une entrevue plutôt orageuse avec sa mère. Il fut très ferme et lui fit comprendre qu’il ne voulait plus, mais alors absolument plus qu’elle intervienne dans sa vie, et que si elle continuait malgré tout à le faire, il couperait tout contact avec elle. Il partit très vite en lui jetant :

-  « Qu’on se le dise dans les chaumières du 16ème ! »

Son père était (encore) absent, mais cela n’est pas grave. Quand il est chez lui, il est encore plus absent : insaisissable. C’est vrai qu’avec une femme pareille, il vaut mieux l’être, insaisissable.

Borg s’occupe aussi de son divorce, puisqu’il a reçu – déjà – une lettre de l’avocat de sa femme.

Il a décidé d’attendre le départ de Jeannot avant de rouvrir son cabinet.

Pendant ce temps, il a commencé des recherches sur la lumière. Il fréquente assidûment la bibliothèque et farfouille au hasard. Il ne trouve rien concernant ses « visions. » Soit il rencontre des ouvrages métaphysiques, très axés sur la foi, l’être suprême, l’amour divin, le tout assez mièvre, confus, et souvent peu crédibles. Ou alors il s’agit d’ouvrages trop scientifiques, complètement hors de son sujet. Il a quand même trouvé un livre intéressant sur le « training autogène », le contrôle de la douleur par concentration de la pensée, mais il n’y est pas question de lumière. Il a trouvé aussi un ouvrage sur le phosphénisme qui l’intrigue, puisqu’il y est question du travail avec la lumière. Mais il s’est rapidement aperçu que ça n’avait rien à voir avec sa recherche.

Il a même consulté un psy, à l’autre bout de Paris pour rester dans l’anonymat, et la rencontre a été plutôt décevante. Il ne fait nul doute que ce docteur l’a pris pour un dingo, comme dirait Jeannot. Il ne lui a proposé aucune thérapie, et l’a invité à faire du yoga pour se détendre. Un nullard de première, pense Borg en souriant.

C’est en rentrant de cette consultation que Borg trouve Jeannot dans le salon, et non point dans le bureau comme d’habitude. Cela tombe bien, car il veut lui parler, mais c’est Jeannot qui commence

- « J’en ai marre des chiffres ! Je prends mon après-midi, patron, mais j’ai préparé une petite bouffe en t’attendant. »

-  « C’est parfait, j’avais l’intention de te la proposer, cette après midi. Je voudrais te faire un cadeau et je préfère que tu viennes avec moi le choisir selon tes goûts. »

-  « Un cadeau ? Et pourquoi ? » Demande-il, tout de suite  méfiant.

-  « Parce que voilà une semaine que je te vois tous les jours laver et repasser ta seule chemise, sans parler du reste, et je ne peux pas te prêter les miennes car tu ne rentrerais pas dedans. Alors j’ai décidé de t’acheter d’autres vêtements. »

-  « C’est gentil à toi, mais ça ne rentrera pas dans mon sac, alors des frusques pour deux semaines, ça ne vaut pas la peine ! »

-  « Je te les apporterai à Noël. »

-  « Ça ne me plait pas beaucoup cette histoire de cadeau. »

-  « Je m’en doute, mais si je me souviens bien, il t’arrive assez souvent de donner aux autres. Tu n’as pas le privilège de la générosité, moi aussi, j’en suis capable maintenant. Je sais très bien que tu es le contraire d’un profiteur Jeannot, tu connais ma fortune, et je connais la tienne. Si nous laissons cette histoire d’argent nous créer des problèmes, c’est inquiétant pour notre amitié. Je ne t’ai même pas proposé de prendre un peu de ma fortune, car je connais d’avance ta réaction. Pourtant, cela aurait été une joie, pour moi de t’arranger la vie. Mais il me semble que tu peux accepter quelques vêtements pour le temps que tu restes ici. N’oublies pas non plus que tu m’as sauvé la vie. C’est moi qui ai une énorme dette envers toi. Alors s’il te plait, laisse-moi au moins faire cela pour toi. »

-  « Tu me donnes soif, à parler ainsi, c’est d’accord pour ton cadeau. Mais ça s’arrête là. D’accord ? »

-  « D’accord. »

        Jeannot est revenu avec un costume de satin noir (eh oui !) Un pantalon de velours, deux chemises blanches, et Borg a glissé quelques slips, chaussettes et tee-shirts dans son sac pendant les essayages.

L’ineffable fut l’achat de deux  chouchous (des espèces de gros élastiques mous pour cheveux) au rayon cosmétiques féminins. Il a fallu que Jeannot les essaient « pour voir s’ils ne serraient pas trop. » Tous les regards féminins convergeaient vers eux. Borg entendit une vendeuse dire à sa copine :

-  « Regardes les mecs, ils sont beaux comme des dieux ! »

Et sa copine lui répondre :

-  « T’as pas d’ bol, ma vieille, y sont pas d’ not’ bord ces deux là, ça s’ voit. C’est des chéris »

Borg sourit mais se garde bien de répéter ces propos à Jeannot.

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