Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LA RIVIERE GLACEE
10 juin 2007

CHAPITRE 3 Un taxi les conduit de la gare de Lyon

CHAPITRE 3

        Un taxi les conduit de la gare de Lyon à l’avenue Malakoff où il habite. Quand ils pénètrent dans le hall, Borg demande à Jeannot de l’attendre devant l’ascenseur, il doit aller chercher ses clefs chez la concierge. Borg se dirige vers la loge, sonne, et attend. Quand la porte s’ouvre, un torrent d’exclamations sort de la bouche d’une petite femme rondelette, presque plus large que haute… Tout le monde était si inquiet, on se demandait où était passé Monsieur, c’était pas gentil de laisser sa pauvre mère dans l’angoisse, comme ça, même que sa mère était encore venue hier, dans tous ses états, et qu’elle est si contente de revoir enfin Monsieur, et en bon état, et…Borg l’interrompt :

-   « Madame Belbish, Merci, c’est gentil à vous, mais je vais très bien, et je m’occupe de tout ça, je voudrais simplement mes clefs. »

Il retrouve Jeannot hilare dans l’ascenseur :

-   « Eh bien pour une belle biche, ta pipelette, elle se pose là ! Elle serait plutôt du genre belle vache, non ? Ah ! Ah ! Ah ! »

Borg rigole, lui aussi. Avec Jeannot, et pour diverses raisons, il a souvent l’impression d’avoir vingt ans.

L’entrée dans l’appartement laisse Jeannot muet… mais pas pour longtemps ;

-   « C’est un musée que tu habites ? »

-   « Arrêtes de te moquer de moi. Cet appartement, ce n’est pas moi qui l’ai décoré, c’est… enfin, c’était le goût de ma femme. »

-   « Si tu me dis que c’est pas le tien, c’est que tu es difficile, mon pote. »

-   « Désolé de te décevoir, mais je n’aime pas vivre dans le passé, je préfère le contemporain. »

-       « Mon gars, tu ne trouveras plus maintenant du bel ouvrage comme ça. Ce genre de travail, ça me laisse pantois. D’ailleurs… mais je n’en crois pas mes yeux, c’est un Chippendale, ce truc, si je me trompe, je veux bien qu’on me les coupe ! »

Pendant que Jeannot s’extasie, Borg téléphone pour prendre rendez-vous dans le centre de radiologie avec lequel il travaille habituellement. Il arrive, en insistant, à obtenir un rendez-vous après demain.

Jeannot, devenu fébrile, déménage un petit meuble et pousse un hurlement de joie quand il trouve la signature. Borg, stupéfié demande :

-  « Mais je ne savais pas que tu t’intéressais aux meubles d’époque… »

-  « C’est que tu ne me l’as pas demandé, il n’y a pas que les westerns qui me branchent dans la vie…Ah ! Ah ! Ah ! »

-  « Et où as-tu appris tout ça ? »

-  « D’abord j’ai bossé pour un gars, un vieux compagnon, qui avait la passion de ces trucs là, alors il me l’a refilée. Et après, j’ai lu des livres. »

- « Je crois que tu ne finiras jamais de m’étonner ! »

-  « C’est normal, les bourges comme toi, ils pensent que tous les traîne-grolles comme moi, on est des sous-produits, avec des cervelles ramollies. Note bien que c’est souvent vrai. C’est comme quand je pense que les toubibs, c’est tous des nuls. Si on s’enferme la comprenette dans des idées comme ça, on passe finalement à côté de pas mal de choses. »

-  « C’est tout à fait vrai, et je trouve que notre rencontre est une chose fabuleuse ! »

-  « Mais toutes les rencontres sont fabuleuses, si tu y fais attention, elles peuvent toutes t’apprendre quelque chose de nouveau. Et c’est ça qui me plait dans le voyage : Tu rencontres un tas de gens avec leurs histoires, et toi tu cogites là-dessus pour savoir comment tu peux les aider ou t’en faire des potes. Et après, tu te barres tout seul en pleine nature, histoire de réfléchir sur toi. Parce que, il faut aussi se connaître soi- même, sinon on ne peut pas s’arranger là où ça cloche.»

-  « Mais tous ces gens que tu rencontres ne sont que des étrangers, Jeanot, tu perds ton temps à t’occuper d’eux, ils n’en ont peut-être rien à faire de toi et de ton aide, et crois-tu qu’ils t’en soient reconnaissants ? »

-  « Moi, étranger, je ne sais pas ce que ça veut dire. Il y a des milliards de petits bonhommes et bonnes femmes dans le monde que je ne connais pas parce que, mon gars, la vie est trop courte pour qu’on puisse les rencontrer tous, même en voyageant beaucoup, ça, c’est le hasard. Mais à chaque fois que j’en rencontre un nouveau,  si c’est pas un fêlé, c’est un pote. Quant à la reconnaissance, si tu attends ça pour vivre ta vie, tu risques d’être déçu. La plupart du temps, quand tu aides un gars, une fois qu’il s’en est sorti, tu lui rappelles un mauvais souvenir, alors forcément, il n’a pas envie de te revoir, c’est normal. »

-  « Et tous les « petits gars » dont tu m’as parlé, et que tu as aidés, tu ne les revois pas ? »

Jeannot rigole doucement et répond :

-  « Non, mais rassures toi, ça ne me traumatise pas, le principal, c’est qu’ils s’en sortent. Ce qui commence à me gêner, par contre, c’est  de tchatcher comme ça, des heures sans boire un coup, et si tu avais un peu de liquide à faire glisser le long du gosier,  ça ne serait pas de refus. »

Borg, passionné par leur conversation, a oublié l’heure et ne s’est pas encore occupé de la pitance. Maintenant, il prend conscience qu’il  est sur son territoire et que c’est à lui d’assumer.

-  « Excuses moi, j’aurais du y penser, je vais te chercher de l’eau. On continue comme en montagne avec de l’eau. Tu veux bien ? »

-  « Sans problème, mon gars, vu le mal de bide que je me suis payé ce matin, ça paraît raisonnable. » Répond-il en jetant un regard de regret sur le bar somptueux qui rayonne dans un coin du salon. Puis il reprend :

-  « Il serait peut-être temps d’aller faire des courses, il n’y a plus rien à bouffer dans nos fourbis. »

-  « Ne t’inquiètes pas pour le repas, je passe un coup de fil, et on nous apportera ce qu’il faut. »

Borg commande au traiteur du coin chez qui il a un compte, un repas simple pour deux personnes.

Les deux compères se désaltèrent, puis Borg montre sa chambre à Jeannot – qui ne dit rien – mais siffle un bon coup. Ils retournent ensuite dans le salon et Borg commence à installer des couverts sur une petite table, quand on sonne à la porte.

Un jeune livreur lui tend deux grands cartons que Borg va poser sur la table. Il donne une signature, sort un billet de sa poche pour le pourboire et le remercie. Pendant ce temps, Jeannot qui s’occupe d’ouvrir les cartons lui demande :

-  « C’est un billet de combien que tu lui as filé ? »

-  « Dix euros, pourquoi ? »

-  « Pour savoir. Ça n’est pas cher dans ton quartier ! »

Borg ne dit rien. Jeannot et lui vivent dans des mondes si différents que c’est un miracle, qu’ils se soient rencontrés.

Après le dîner, Jeannot lui demande :

-  « Et tu n’appelles pas ta vieille ? Tu as entendu ce que la belle biche a dit : Elle s’inquiète, ta mère. »

-  « Ne te fais pas de soucis pour ma mère, ses visites à la concierge sont du cinéma. Elle joue dramatiquement son rôle de pauvre mère abandonnée, mais cela ne l’affecte pas. Crois-moi sur parole, il y a eu beaucoup de choses au cours de ma vie qui le prouve, mais je n’ai pas envie d’en parler. Ceci dit, j’appellerai tout le monde demain, car il faut bien faire redémarrer la machine, ne serait-ce que pour les informer que maintenant, c’est moi qui suis aux commandes. En attendant, Jeannot, je garde cette soirée pour nous deux. »

Borg et Jeannot ont continué à parler jusqu’à une heure tardive, comme deux vieux amis qu’ils sont devenus.

Publicité
Publicité
Commentaires
LA RIVIERE GLACEE
Publicité
Albums Photos
Derniers commentaires
Publicité